Thomas Fersen et le Québec

La France le connaissait à peine que le Québec s’était déjà entiché de Thomas Fersen. C’était il y a dix ans et des poussières. Chronique d’une fidélité réciproque.

Dix ans de fréquentations assidues

La France le connaissait à peine que le Québec s’était déjà entiché de Thomas Fersen. C’était il y a dix ans et des poussières. Chronique d’une fidélité réciproque.

Depuis fin 93 que ça dure entre Toto et nous. J’écris Toto exprès, pour marquer l’intimité dans l’affection. Les journalistes québécois l’appellent ainsi : Toto. Notre cher Toto depuis 1993, donc, l’année de son premier album, Le Bal des oiseaux. C’est dire si on avait eu la gâchette rapide. Dès l’été, invité aux FrancoFolies de La Rochelle, nous avions été quelques cœurs du Québec à faire «twoui twoui» pour lui. Je nous revois dans l’étuve de la Salle Bleue, imbibant ses chansons «de rat des villes enviant le rat des champs», comme je l’écrivis alors. Je nous revois dans le village des sponsors, faisant l’article à Alain Simard, président des FrancoFolies de Montréal, lui servant l’ultimatum : ou il nous amenait ce Fersen à Montréal, ou on lui boudait son festival, na.

Quatre mois plus tard, Thomas Fersen jouait au Grand Café de la rue Saint-Denis, alors le cœur des Francos, et nous étions ravis de ne plus être les seuls ravis. «À chaque fois que je passe devant l’établissement, qui a d’ailleurs changé de visage, je me souviens de ce moment-là. C’était comme dans un rêve de gamin, on m’avait invité dans un endroit que je connaissais pas, et voilà que les gens me faisaient la fête. Je me souviens aussi qu’il faisait froid. Et d’une semaine de blues au retour à Paris». Deux mois plus tard, Fersen était bombardé Révélation de l’année aux Victoires de la musique. Au Québec, on bombait le torse.

Dix ans plus tard, on n’a pas assez de souffle pour lui crier à quel point on l’aime. En tournée fin janvier chez nous (neuf spectacles, dans tous les grands centres), Fersen a cartonné avec le spectacle de l’album Pièce montée des grands jours : un véritable petit triomphe de rock star, avec brin d’hystérie dans les cris. «Des cris, au Québec, il y a toujours eu», relativise l’intéressé, qui me suggère de réécouter Triplex, le coffret «live» de 2001, dont le tiers était enregistré à Montréal, au Cabaret Music-Hall. Et oui, ça criait déjà. Mais je persiste : la stridence augmente. «C’est le côté rock…», tranche-t-il, pas sûr de vouloir jouer l’idole.

Notez que Thomas Fersen n’était pas seulement en spectacle le mois dernier au Québec, mais en tournée de spectacles. Il est l’un des rares artistes français, avec Arthur H et le groupe Tryo, à justifier chez nous une telle entreprise. Les autres profitent des FrancoFolies. «C’est ce qu’on faisait au début, rappelle Fersen. Je revenais parce qu’on me réinvitait.» En août 1995, il était programmé en fin d’après-midi sur la principale scène extérieure du festival devenu estival, devant des promeneurs d’abord distraits. Dure, dure expérience. Retour à l’intérieur l’année d’après : tout baignait au chic Spectrum. «Et puis en 1997, j’ai commencé à travailler avec La Compagnie…»

Le Québec ratissé

La Compagnie Larivée-Cabot-Champagne, boîte de production montante, programmatrice de l’intimiste Cabaret Music-Hall, avait cette idée alors audacieuse : sortir le Toto des festivals, et l’amener «en région», comme on dit ici pour désigner la province. «C’est une bulle, les FrancoFolies. Ça donne l’impression qu’on est célèbre partout au Québec. Mais le Québec, c’est grand.» Six soirs au Cabaret et un de plus au bar Le D’Auteuil à Québec en novembre 1997 ayant démontré qu’un séjour hors saison était possible, de véritables tournées suivirent. Dix-huit dates en 1999, presque autant en 2000 et 2001, ratissant le territoire jusqu’à la péninsule gaspésienne. «J’ai compris des choses. Je suis sorti un peu des clichés. Le Québec, c’était pas seulement Montréal et la ville de Québec. C’était pas non plus seulement le sourire. C’était aussi la pauvreté dans les petites villes. Beaucoup de suicides. Beaucoup d’humanité, aussi. J’ai été dans des familles, je me suis fait des amis. J’ai même eu une petite copine québécoise

Chose certaine, il ne revient pas pour plaire à son banquier. «On fait nos frais, quoi. J’ai cet esprit du maçon qui construit et qui n’a pas envie que sa maison soit à l’abandon. On a entamé quelque chose avec les gens au Québec il y a dix ans, qui appelait un retour, et ce retour en appelait un autre. Ça s’est fait comme ça. Simplement.» Comme dans les vraies histoires d’amour.

Sylvain Cormier