Les rappeurs de Kinshasa
Dans une ville où des myriades d’enfants rêvent de devenir chanteur, danseur ou garde du corps d’une grande star de la "musique typique" telle Koffi Olomidé, Werrason ou Mpiana, les rappeurs de la capitale tentent de se faire une place. Pas facile quand cette même musique «typique» est omniprésente dans les rues, les taxis, les bars, les discothèques et à la télévision. Pourtant, la marmite hip hop est en pleine ébulition à Kinshasa. Et elle pourrait bien déborder dans les prochaines années... Reportage.
Des artistes à la tête dure.
Dans une ville où des myriades d’enfants rêvent de devenir chanteur, danseur ou garde du corps d’une grande star de la "musique typique" telle Koffi Olomidé, Werrason ou Mpiana, les rappeurs de la capitale tentent de se faire une place. Pas facile quand cette même musique «typique» est omniprésente dans les rues, les taxis, les bars, les discothèques et à la télévision. Pourtant, la marmite hip hop est en pleine ébulition à Kinshasa. Et elle pourrait bien déborder dans les prochaines années... Reportage.
C’est au tournant des années 90, lorsque les signes d’affaiblissement du pouvoir de Mobutu commencent à se multiplier, que le rap congolais choisit d’éclore dans la tête d’une jeunesse en mal de changement. Dans l’ombre fraîche des quartiers résidentiels de Kinshasa, les jeunes gens aisés reçoivent des cassettes envoyées par les cousins de la diaspora, sur lesquelles ils découvrent un flot de clips de rap américains ou français. Via le satellite, les chaînes MTV puis MCM déboulent dans le salon de ces adolescents qui se prennent à rêver d’être eux aussi des rappeurs. Avec quelques copains épris de cette «autre musique», dont des noirs sont les têtes d’affiche, ils se mettent spontanément à rapper et se produisent dans les boums de lycéens ou les bals d’étudiants.
Mai 1997, la chute de Mobutu ouvre le champ à la libéralisation des médias. Du Zaïre, devenu Congo ou de l’étranger, de nouvelles radios et télés se multiplient et diversifient le quotidien audio-visuel des Kinois. Aujourd’hui, on reçoit sans parabole une trentaine de chaînes dans la capitale.
Rap à la radio
Bien que le géant ndombolo (et autres avatars du "typique") continue de l’écraser de tout son poids, le rap congolais se fait peu à peu entendre sur des radios privées telles que Ragga FM. C’est dans cette période (1997-2001) que vont se réunir une bonne part des groupes qui se partagent aujourd’hui le devant de la scène rap de Kinshasa.
Bawuta-Kin, PNB (Pensée Nègre Brute), Section Bantoue, Smoke et les autres sortent alors leurs premiers titres. "Sortir" est un bien grand mot, tant la diffusion des cassettes est confidentielle. Tous ces rappeurs s’auto-produisent, en économisant quelques dollars de-ci de- là, histoire de s’offrir la location d’un home studio. Certains titres sont ainsi réalisés en une journée pour économiser. Coût de l’opération, minimum 50 $US, ce qui n’est pas rien dans un pays où le salaire de bon nombre de fonctionnaires plafonne à 20 $ mensuels (quand il est versé). En matière de musique, la télé a tout autant (sinon plus) d’impact que la seule radio. Nos rappeurs d’infortune se cotisent donc pour tourner des clips en vidéo (150 à 200$) qu’ils portent aux télés privées locales. On ne chiffrera pas ici les petits suppléments qu’ils auront à verser pour s’assurer de la coopération de l’animateur.
Des empêcheurs d’ambiancer en rond
Il faut donc avoir la tête dure pour s’échiner à faire du rap sans aucune retombée financière. "Ce serait surréaliste de te dire que tu vis du rap" lâche Smoke en ricanant. Smoke, dont les textes poétiques ont un air de famille avec ceux de MC Solaar, n’exagère pas d’un poil. Son constat sonne d’autant plus vrai que les rappeurs se retrouvent en porte à faux avec cinquante ans de chanson congolaise. Une chanson populaire, mais centrée sur la danse, l’ambiance, et dont la forme fait de plus en plus souvent office de fond. Bref, on préfère s’évader de la réalité plutôt que d’y réfléchir. En chantant le quotidien des Congolais tel qu’il est et non comme ils le rêvent, nos rappeurs "prennent la tête" et sont de véritables "empêcheurs d’ambiancer en rond". Paradoxalement, ce sont eux que l’on qualifie de "rêveurs"!
Malgré toutes ces difficultés, les rappeurs kinois s’entêtent, en attendant l’hypothétique et miraculeuse venue d’un producteur-messie qui leur offrirait la possibilité de faire un disque dans de bonnes conditions. L’idée qu’il puisse être congolais ne les effleure même pas...
Les grandes stars sont produites à l’extérieur, et les derniers véritables producteurs installés à Kinshasa ont plié bagage suite aux pillages de 1991 et 1993. Ceux qui s’aventurent à risquer de l’argent dans la musique préfèrent miser sur ce qui marche: le typique, ou la musique chrétienne qui marche très fort en ce moment. En attendant, à défaut de producteurs, la Halle de La Gombe leur ouvre régulièrement une scène pour se produire dans des conditions professionnelles.
Samples des classiques congolais
Même si le rap kinois a connu une genèse opposée à celle du rap américain (né dans les ghettos des grandes villes), il est cependant peu à peu passé des quartiers chics à ceux plus reculés ou moins favorisés de la capitale. A Ndjili, Kabambaré, Yolo et jusque dans le fief de Papa Wemba à Matongue, les jeunes groupes de rap pullulent et posent leurs textes sur des instrumentaux que crachent leurs radio-cassettes. Le plus souvent, ils associent lingala, français et parfois d’autres langues nationales (comme le kikongo, dont le rappeur NMB est un virtuose). Les plus expérimentés composent leur instrumentaux dans des home studios, et certains samplent des classiques de la musique congolaise, associée à un beat rap. Par exemple, le groupe Bawuta-Kin a repris le tube Mario du grand Franco ou encore samplé Koffi Olomidé pour son dernier titre Difficile à construire. PNB de son côté a été pêcher un vieux tube de Tshala Muana (la star du style mutuashi). L’objectif est d’abord d’ajouter une "congolaise touch" pour "ne pas faire comme les Américains", mais aussi de se glisser dans les oreilles d’un grand public difficile à séduire, s’il n’a pas quelques repères familiers. Quant Bebson de la Rue (et son groupe Trionix), il pratique un joyeux mélange d’influences ragga, zouglou, congolais typique grâce à ses musiciens et à leurs savants instruments bricolés au moyen de matériaux de récupération.
A Kinshasa le rap existe, nous l’avons rencontré. Dans la tête d’une jeunesse résolument urbaine, fille d’un pays par terre ("RDC, rez de chaussée" aiment à plaisanter certains). C’est tout un magma en pleine ébullition, qui cherche encore sa voie et une reconnaissance.
En décembre 2003, un grand concert réunissait, dit-on, près de 60.000 personnes au stade des Martyrs. Le public était venu en masse pour applaudir les dizaines de groupes de rap invités à se produire ce jour-là. Preuve qu’il existe un public, et un avenir pour ces têtes dures de Kinshasa.