Manou Gallo
Coup de coeur pour le premier album, Dida, de la jeune ivoirienne Manou Gallo. L’ex-bassiste des Zap Mama est à la hauteur des espoirs de Marcelin Yacé, son père spirituel. Musicienne et maintenant chanteuse, Manou Gallo prend la parole et ne mâche pas ses mots.
La force de Dida
Coup de coeur pour le premier album, Dida, de la jeune ivoirienne Manou Gallo. L’ex-bassiste des Zap Mama est à la hauteur des espoirs de Marcelin Yacé, son père spirituel. Musicienne et maintenant chanteuse, Manou Gallo prend la parole et ne mâche pas ses mots.
C’est en pensant à lui que Manou Gallo présente les onze titres de son groupe, Manou Gallo et le Djiboï. Lui, c’est Marcelin Yacé, figure du monde musical ivoirien, tué, comme tant d’autres, dans cette guerre civile qui n’en fini plus. Premier professionnel à avoir cru en elle, Marcelin Yacé craque sur Manou lorsqu’il arrive à Divo, un lieu choisi comme base par son groupe Woya. Il embarque alors la petite vendeuse d’orange pour une aventure qui va devenir celle de toute sa vie. Il faut dire que Manou est déjà un véritable phénomène musical au village. Née le jour du décès de sa grand-mère, elle a reçu en songe le don de battre les tambours parleurs! Un don qu’elle exprime à l’âge de huit ans, lors d’une cérémonie d’enterrement. "Tout le monde était étonné, choqué même car les femmes n’ont pas le droit de toucher ces tambours. On me prenait pour une petite sorcière. Quand je me suis installée alors pour jouer, j’ai senti la force de mes ancêtres guider mes doigts". Et la force ne la jamais quittée!
Au-delà de l’expérience Woya, une école de la vie pour la jeune fille non-scolarisée, Manou suit Marcelin Yacé à Abidjan où il lui offre sa première basse et l’initie à la prise de son dans son studio pendant trois ans (il était considéré pour beaucoup comme le meilleur ingénieur du son de toute la Côte d’Ivoire). "Je ne pensais qu’à la musique, je n’avais qu’un seul but: devenir musicienne. J’y mettais toute mon énergie". Lorsqu’elle tente sa chance à Bruxelles en 1997, elle se souvient avoir été remarquée par le manager des Zap Mama lors du MASA 92 à Abidjan. Ça tombe bien, Marie Daulne, leader du groupe cherche «un» bassiste. Transie de froid pour son premier hiver avec neige, elle passe avec succès l’audition. Réchauffée, elle tourne depuis avec le groupe où elle fait le maximum pour servir la chanteuse Marie Daulne.
Mais aujourd’hui, c’est elle qui parle et elle ne mâche pas ses mots. Sur la pochette, ses bras nus, avec bracelets colorés et guitare basse. Droit dans les yeux, elle nous regarde.
RFI Musique : Dida, c’est le titre de ton album, c’est aussi ta langue. J’ai l’impression que tu tiens absolument à dire qui tu es…
Manou Gallo : "Dida", c’est la langue de mon peuple. L’album parle de ma vie et de tout mon parcours. La musique est celle d’aujourd’hui, ni commerciale, ni traditionnelle. De la musique du monde.
Et en swahili! Le dida, c’est mon enfance, et puis aussi le français, je suis francophone. L’anglais est venu plus tard, avec les tournées. Mais ce n’est pas prémédité. Moi j’aime que les choses viennent au feeling. Sabine Kabongo (qui chante sur Amagnagny) s’exprime très très bien en anglais. Lorsqu’on composait à la maison, c’est venu comme ça. Ce qui montre mon esprit d’ouverture.
Avec toi, l’expression "citoyenne du monde" trouve du sens, que penses-tu de la notion d’"ivoirité" (1)?
La Côte d’Ivoire est un pays d’accueil, Abidjan est un melting pot, tous les musiciens de l’Afrique de l’Ouest sont passés par là. Je me souviens de Lokua Kanza jouant avec mon père adoptif. Les politiciens jouent sur le fait qu’il y avait beaucoup d’étrangers en Côte d’Ivoire. C’est diviser pour mieux régner. Moi, je suis une femme ivoirienne, je suis une femme du monde, et j’ai envie que tous ceux qui sont sur cette terre aient leur place quelque part.
Tu as commencé ta carrière internationale en jouant de la basse avec les Zap Mama, et aujourd’hui, avec ce premier album, tu chantes. As-tu conscience du fait que l’expression de tes sentiments devient à chaque fois l’expression de tes idées ?
Je suis très consciente. Tant que tu peux parler pour la paix, pour l’amour, il faut le faire. Moi je n’ai pas peur. Les gens qui prennent les armes, eux, n’ont pas peur de tirer. Moi, je n’ai pas peur de parler de liberté et de respect. Je suis née en Côte d’Ivoire, à Divo, mais il me fallait partir. C’est important que chacun puisse faire son chemin. C’est ce qui fait la richesse du monde et des êtres humains.
Une richesse humaine que l’on retrouve sur ton album !
Dans Zap Mama, j’ai connu Lene (Christensen), une danoise blonde qui chante Poupouyanssia. Très belle rencontre. Je suis allée chez elle au Danemark, elle est venue chez moi à Dido. Moi je suis pour ça. Quand le sang coule, on ne sait pas si tu es du nord ou du sud, si tu es blanc ou noir. Le sang, c’est du sang.
Quel est le texte qui te tient le plus à cœur ?
Gou. C’est la maladie. Je parle fort de l’Afrique, de ma sœur qui est morte du sida, je voulais lui rendre hommage. J’étais si mal. «Quelle est cette maladie que l’on ne peut pas soigner?/Qu’est ce qu’on a fait pour être dans le noir?/Là où tu es allée, marches bien…et au revoir/La fille de ma mère je te salue/Ma petite sœur je te dis au revoir»
Il y a de la tristesse, mais jamais de désespoir. Tu sembles portée par une force immense, d’où vient-elle ?
Mon Dieu, c’est les esprits de mon peuple. Et puis bien-sûr mon père adoptif, Marcelin Yacé, il voyait mon lendemain. C’était mon idole. Je me dois et je lui dois de réussir.
Il y a Angélique Kidjo…et maintenant Manou Gallo !
Merci! Ce n’est pas courant de voir des femmes africaines jouer aux instruments…et puis c’est cher et incertain, les parents ne l’encouragent pas, mais ça va venir. Angélique, c’est un modèle pour moi, je l’ai rencontrée à Los Angeles avec les Zap Mama. Quand je la voyais à la télévision, je me disais il faut croire à ce que tu fais, Manou, vas-y quoi!
(1)Ivoirité
Manou Gallo Dida (Dixiefrog/Night & Day) 2004
