Dominique A

Figure à part sur l’échiquier de la chanson française, Dominique A a lentement mais sûrement bâti un univers basé sur une sobriété musicale et une écriture existentialiste sans concession. Plus de dix ans après son premier album, Dominique A, la trentaine assumée mais toujours pas apaisée, revient avec un sixième album au titre trompeur,Tout sera somme avant.

Tout sera somme avant

Figure à part sur l’échiquier de la chanson française, Dominique A a lentement mais sûrement bâti un univers basé sur une sobriété musicale et une écriture existentialiste sans concession. Plus de dix ans après son premier album, Dominique A, la trentaine assumée mais toujours pas apaisée, revient avec un sixième album au titre trompeur,Tout sera somme avant.

Dès les premières notes de la chanson éponyme qui ouvre ce disque, on comprend vite que rien ne sera plus jamais comme avant pour celui qu’on avait élu chef de file d’une nouvelle chanson française austère et peu orchestrée. Tout au long de cet album conséquent (quinze titres), produit cette fois-ci par un Français, Jean Lamoot (Bashung, Les Valentins, Noir Désir…), des arrangements élégants et variés de cordes, de claviers et de cuivres opèrent avec succès une véritable révolution dans l’univers de Dominique A, plus familier d’une certaine épure musicale et plus amateur de productions indépendantes anglo-saxonnes: «Je n’ai pas mis longtemps à choisir Jean Lamoot et son équipe. Je voulais retravailler avec des francophones pour retrouver une certaine aisance dans l’explication, par rapport à la musique. Il se trouve que L’Imprudence, le dernier album de Bashung (produit par Jean Lamoot) m'avait vraiment impressionné et en dehors de mes amis ingénieurs du son avec qui j’avais déjà travaillé, il n’y avait pas beaucoup de gens en France avec qui j’avais envie d’essayer. Enfin, c’était très important de trouver des personnes qui n’avaient pas la même culture musicale que moi. On a donc fait un essai sur quelques titres pendant l’été dernier, ça a été concluant et on est parti pour tout l’album.»

C’est donc sans filets que Dominique A s’est lancé dans cette nouvelle aventure sonore, acceptant pour la première fois de sa carrière, de laisser les rênes à d’autres et de s’éloigner de cette épure qui commençait à devenir un peu étouffante à force de contrôle : «Je ne savais pas au départ si c’était une bonne idée d’aller vers plus d’arrangements: est-ce que ma voix allait trouver sa place ? Même si j’ai toujours fait le balancier entre différentes formules (solo ou en groupe, plus ou moins minimales), cette fois-ci, je suis allé un cran plus loin. Je crois que le déclic a peut-être été la reprise de la chanson de Léo Ferré sur l’hommage sorti avant l’été où je me suis laissé faire, où je n’étais qu’un interprète. J’étais complètement à l’aise, un peu en retrait comme un chanteur de variétés.»

Grâce à ce lâcher-prise, Dominique A cesse donc de gratter la même plaie musicale, laisse sa voix flamboyer et son univers s’ouvrir (une scie musicale sur Dans Les Hommes, des clochettes chinoises sur Les Clés). Sublimées par les arrangements d’Arnaud Devos et Jean-Louis Solans, les deux complices de Jean Lamoot, les chansons très orchestrées s’enchaînent sans jamais tomber dans le systématisme (ce qu’on pouvait parfois lui reprocher) et distillent une mélancolie poignante («Elle Parle A Des gens Qui Ne Sont Pas Là»). Dominique A s’accorde toutefois deux intermèdes plus légers avec L’Inuktitut, critique acide de l’uniformisation du langage au profit de l’anglais et La Retraite A Miami, kitscherie ironique sur les fonds de retraite.

L’ombre du dernier album de Bashung plane bien sûr sur ce disque puisque Dominique A est allé jusqu’à recruter également le batteur Martyn Baker et le bassiste Simon Edwards mais la filiation la plus criante reste celle de Léo Ferré sur l’admirable Revenir Au Monde, véritable chef d’oeuvre musical et poétique qui renoue avec la flamboyance d’une chanson française à l’ancienne, celle de Brel et de Barbara. Dialogues difficiles voire impossibles à instaurer entre les êtres, solitude, retrouvailles ratées ou douloureuses, les textes de Tout Sera Comme Avant parlent de la quête de sens dans les relations humaines et de la place que l’on occupe dans l’existence, sans fard ni sensiblerie. A propos de son écriture, Dominique A se défend toutefois de toute tentation littéraire mais ne peut cacher son obsession pour la chose («Il y a trop de mots pour le dire») au point que parallèlement à l’enregistrement de cet album, il a donné les titres de ses chansons à des écrivains (Richard Morgiève, Hélène Lenoir, Arnaud Cathrine, Chloé Delaume…) en leur demandant d’écrire un texte à partir de ces quelques mots : «J’ai fait cette démarche parce que j’estime avoir une dette envers la littérature: j’ai tellement empruntée à celle-ci, parfois de façon éhontée, que je voulais lui rendre quelque chose mais ce genre de dette ne se paye pas, jamai... L’idée de confier les titres de mes chansons à des auteurs m’est venue tout simplement à force de les rencontrer, de les côtoyer, j’ai sympathisé avec certains d’entre eux. Grand lecteur, c’est un milieu qui me fascinait et j’ai constaté qu’ils étaient très admiratifs eux aussi sur le fait d’écrire des chansons, du coup, j’ai eu moins de crainte à aller vers eux et à les solliciter pour ce projet. C’était comme un jeu littéraire : qu’est-ce que ça donnerait d’écrire comme ça, à partir d’un mot ? Au final, il y a à boire et à manger mais le principe, c’était d’accepter tout et de le publier sous la forme d’un recueil de nouvelles lui aussi intitulé Tout Sera Comme Avant. En fait, ce qui m’a vraiment frappé, c’est que je pensais qu’il y allait y avoir des correspondances entre les chansons et les textes et cela n’a jamais été le cas.»

Preuve supplémentaire s’il en fallait pour Dominique A, que la littérature et la chanson ne sont définitivement pas la même chose. Fuyant la complaisance, il confie n’avoir eu qu’une peur au moment de l’enregistrement de cet album, c’est que «ces nouveaux habits soient trop grands pour lui». Dominique A peut partir sur les routes tranquille : les chansons de Tout Sera Comme Avant complètent le puzzle d’une carrière marquée par l’exigence et lui vont vraiment comme un gant.

Marion Guilbaud

Tout Sera Comme Avant (Labels / EMI)