Le premier solo de Kool Shen

Jeune papa et vieux rappeur: c’est la situation personnelle de Kool Shen au moment où sort son premier album solo au titre définitif, Dernier round. On ne prendra pas au mot cette annonce de bouquet final, le rappeur de NTM nous a déjà donné tant de moments forts qu’on ne peut se satisfaire d’un seul exercice solitaire d’un artiste qui a vécu aux premières loges tous les soubresauts de l’histoire de cette musique, dont il restera une des figures pionnières et marquantes.

La moitié de NTM sort un album

Jeune papa et vieux rappeur: c’est la situation personnelle de Kool Shen au moment où sort son premier album solo au titre définitif, Dernier round. On ne prendra pas au mot cette annonce de bouquet final, le rappeur de NTM nous a déjà donné tant de moments forts qu’on ne peut se satisfaire d’un seul exercice solitaire d’un artiste qui a vécu aux premières loges tous les soubresauts de l’histoire de cette musique, dont il restera une des figures pionnières et marquantes.

Les aficionados savent bien que la barque NTM, c’est souvent lui qui la menait, laissant à son remuant comparse le soin d’attirer la lumière. Quand le duo de St Denis s’est auto-dissous, Kool Shen s’est lancé corps et âme dans l’aventure du label indépendant, devenant plus chef d’entreprise que musicien, et révélant ces dernières années des jeunes pousses qui prouvaient que sa direction artistique était la bonne. Aussi, quand l’heure du solo sonne, on n’est pas encore habitué à entendre son flow précis s’exercer seul sur le beat. NTM a trop marqué les esprits pour que l’on se fasse tout de suite à Kool Shen sans son ex-alter ego. Dernier round savamment produit par Madizm et Sec Undo, les compositeurs-maison de IV My People, fait face à ce challenge en choisissant la voie de la versatilité, dans un équilibre idéal entre les morceaux rentre dedans (On a enfoncé des portes, Two Shouts) et les plages plus introspectives ou nostalgiques, comme le très poignant Un ange dans le ciel dédié à Lady Vee, danseuse du NTM des débuts, et longtemps compagne du rappeur, décédée l’an dernier dans un accident de voiture.

Kool Shen, longtemps resté discret, dans l’ombre de Joey Starr, affirme sa personnalité dans Qui suis-je ou Le retour de babtou, et dans la grande tradition du hip hop, il se laisse aller à l’égo-trip et à la revendication de son état de MC. Comme s’il était enfin temps de mettre les pendules à l’heure, et de réclamer un dû, que tout le monde lui accordera par principe, et par respect pour le chemin déjà parcouru. Zoxea, rappeur phare des Sages Poètes de la Rue et vieux complice des années récentes, ainsi que le styliste Oxmo Puccino sont les featurings notoires de cet album abouti.

Les albums de NTM étaient des explosions notoires, ce que n’est pas exactement Dernier Round. Le qualificatif qui lui convient le mieux, c’est "attachant". Car sur cette douzaine de titres, c’est dans les exercices plus intimes qu’on est le plus séduit par l’écriture et l’interprétation de Kool Shen. On connaissait sa précision de tueur, on découvre une autre facette, plus mature, celle d’un homme qui a beaucoup expérimenté, et dont la carrière précédente a été une source inépuisable d’événements de toutes sortes. Il en a retiré une philosophie, une réflexion qui transparaît là, nue, dans ses rimes. Oh No, un morceau ample et infusé dans un orientalisme inédit aurait été inimaginable… Avant! Y suffit d’un rien est une autre tranche de doute. Kool Shen a gardé pour l’éthique du hip hop une passion réelle, mais il a trop vu de choses dans le mouvement pour l’exprimer sans la fausse candeur qu’on rencontre trop souvent.

Quand il choisit une cible, ce sont Les médias, parce que là encore il a expérimenté leurs déviances et leurs approximations, et parce qu’à ceux qui l’écoutent, il a un éclairage à donner. Dernier Round se ferme sur la chanson titre, un duo avec Oxmo Puccino qui résume magnifiquement cet état d’esprit de trentenaires qui ont mis toutes leurs forces, depuis des années (20 au compteur pour Kool Shen), au service qu’une musique en laquelle ils croyaient comme on croit dans une religion, parce qu’elle était plus qu’un art: un moyen de survie, un espoir unique de sortir d’un destin trop tracé, dans le no man’s land des quartiers périphériques. Le rap, aujourd’hui, permet ce genre d’émotion, il n’est plus, depuis longtemps, un seul vecteur de colères adolescentes. Kool Shen, avec le poids de son histoire, peut, comme d’autres en même temps que lui (IAM, Oxmo, justement) montrer à ceux qui ont sur le rap des idées préconçues que cette musique a les moyens de dépasser les clichés, et de donner du sens au plus grand nombre. Il faudrait pour cela qu’on la laisse sortir de son enclos réservé.

Kool Shen Dernier Round (IV My People / Sony) 2004