Francis Cabrel

Les Beaux Dégâts, cinq ans après Hors Saison, qui venait cinq ans après Samedi soir sur la Terre... Le nouvel album de Francis Cabrel est venu à son rythme lent et régulier ("le vrai luxe, c’est la lenteur", disait dans une interview le chanteur installé de plain pied dans son Sud rural). Douze chansons d’amour sûr, d’hédonisme simple, d’imparable protestation citoyenne, comme une fois de plus la célébration d’une certaine manière de vivre modestement au seul rythme de la vie.

Les Beaux Dégâts

Les Beaux Dégâts, cinq ans après Hors Saison, qui venait cinq ans après Samedi soir sur la Terre... Le nouvel album de Francis Cabrel est venu à son rythme lent et régulier ("le vrai luxe, c’est la lenteur", disait dans une interview le chanteur installé de plain pied dans son Sud rural). Douze chansons d’amour sûr, d’hédonisme simple, d’imparable protestation citoyenne, comme une fois de plus la célébration d’une certaine manière de vivre modestement au seul rythme de la vie.

Il retrouve là quelques-uns de ses vieux complices (Gérard Bikialo aux claviers et à la coéralisation, Denys Lable aux guitares, Bernard Paganotti à la basse, Denis Benarrosh aux percussions) dans des climats un peu plus électriques, un peu plus "habillés" que sur Hors Saison. Parfois même, on retrouve le bon vieil élan rock'n'roll de certains de ses disques des années 80, mais avec un poli, une sobriété, une précision émotionnelle qu’il a mis quelques lustres à tout à fait maîtriser. Un album d’une parfaite clarté, d’une lisibilité exemplaire, qu’on imagine volontiers s’installer aux sommets commerciaux – une habitude chez Cabrel.

RFI Musique. – Cinq ans entre deux disques, cela s’avère être votre rythme régulier, donc…
Francis Cabrel. –Je dis toujours que je vais essayer de faire plus vite mais je n’y arrive pas. Ce n'est pas le travail lui-même, parce que quand je décide de travailler, ça me prend les douze mois habituels, mais j’ai quelques réticences à m'y jeter tout de suite en sortant de tournée: je suis épuisé moralement, dégoûté de mes chansons... Donc, je laisse passer du temps. La chanson ne m'est pas indispensable tout de suite: il se passe trois années, trois années et demi avant qu'une forte pression intérieure ne remonte à la surface.

De même, votre disque sortant ces jours-ci, vous prenez votre temps avant de retrouver la scène.
Il ne faut pas tout précipiter. Il faut avoir le temps de bavarder, je vais partir en vacances... Si les gens se souviennent encore de moi, ils ont bien attendu cinq ans... Je fais trois ou quatre mois, déjà, à partir d’octobre, dans des endroits de dimensions moyennes - des théâtres en province, le Casino de Paris.

Cela vous est-il difficile de choisir votre répertoire de scène ?
Il y a celles que je ne peux pas ne pas chanter, un noyau de sept ou huit chansons. Et puis deux ou trois anciennes que je vais revisiter, dont je sais que le groupe va se marrer à les ré-habiller. Après, on fait le dernier disque, un peu de l'avant-dernier. C'est tout. Et on s'arrête entre les chansons pour laisser les gens applaudir. Je n'ai pas d'autre projet que celui-là.

Dans le processus de composition et d’enregistrement des chansons, êtes-vous très ouvert aux initiatives de vos musiciens?
Quand j’arrive en studio, les chansons sont finies. Le matin – ça se passe le matin, en général – je les présente maquettées au groupe: j’ai chanté, fait les choeurs, il y a des guitares, de la basse, du piano, de la batterie. On travaille sur la chanson un ou deux jours: les autres ont peut-être mieux à proposer, on enregistre, on écoute, on fait des corrections. On peut changer le dessin rythmique, par exemple, mais la chanson est finie, le dernier mot est posé, la musique est écrite, ça ne bouge plus – on n'y reviendra plus.

Une de vos nouvelles chansons est un hymne à la Fender Telecaster*. Vous êtes donc Telecaster plutôt que Stratocaster ?
Je suis en fait presque autant Stratocaster que Telecaster, mais le mot Stratocaster me semble un peu difficile à chanter. Un jour, j'ai entendu John Hyatt qui dans une chanson utilisait le nom de la Telecaster. Avec l'accent américain, c'est à crever de bonheur et c'est un mot que j'avais envie d'utiliser.

Collectionnez-vous aussi les guitares électriques ?
Je collectionne surtout les guitares électriques. Je dois avoir une belle série de dix guitares acoustiques mais toutes les autres sont électriques. Assez peu de Telecaster, d’ailleurs, puisque les vieilles sont rares sur le marché. Beaucoup de guitares jazz des années 50, des Gibson L5 et Super 400...

Vous en jouez volontiers ou vous les préservez de tout risque ?
Ce sont des guitares à jouer. Il y a en a une bonne dizaine sur ce disque. Sur celui d'avant, il y en avait encore plus. Un jour, j’ai mis un pète à une guitare et j’étais désolé de le montrer au luthier qui me l'avait faite. Il m’a dit qu’au contraire, la vie doit être marquée sur une guitare, ne pas s’inquiéter qu’elle soit rayée ou qu'on la cogne à un coin de table en se levant. Depuis...

Votre passion pour la guitare ne va pas jusqu’aux folies instrumentales...
J'aimerais bien sûr être Eric Clapton ou Robben Ford, mais j’en sais juste assez pour ce que je veux faire avec la guitare. Tout ce que je veux, c'est m'accompagner de façon un petit peu originale. J'aimerais être assez bon pour accompagner les autres mais je ne suis guitariste que pour moi.

Vous avez cinquante ans, cet album est votre dixième : commencez-vous à penser à la trace que vous aller laisser dans l’histoire de la chanson ?
Dès le premier jour, je me suis demandé quelle trace j'allais laisser. C'était peut-être plus facile pour moi que si je débutais aujourd’hui : à mon premier jour à moi, il y avait Joe Dassin, Michel Sardou, Claude François et certes Maxime Le Forestier, Jean-Michel Caradec, Yves Simon – il y avait de la place dans le paysage. Dans la façon d’écrire, je voyais comment Dylan racontait ses histoires d'amour, en faisant des détours impossibles et en n'en parlant jamais: je savais que, là, il y avait une place où je pouvais m'installer.

Et que pensez-vous qu’il restera de vous ?
Une ou deux chansons d'amour, ça me suffira – Petite Marie, L’Encre de tes yeux... Parfois, les chansons semblent trop simples quand on les écrit... Il me semble avoir réussi des chansons plus complètes, plus pesantes, plus habitées que ça. Mais on ne sait pas pourquoi elles restent dans l'inconscient collectif, pourquoi les gens se les approprient ou pas. La Belle Debby, par exemple, est une de mes favorites. Mais c'est sûr qu'il n'y a pas là, les ingrédients d'une chanson populaire. En fait, les chansons que les gens ont aimées sont celles qui devaient être élues, je pense.

Le public a-t-il toujours raison ?
Oui.

* célèbre marque américaine de guitare

Francis Cabrel Les beaux dégâts (Columbia/Sony) 2004