Aldo Romano

Consacré par le prix Jazzpar 2004, "le prix Nobel du jazz", Aldo Romano est comblé. Compositeur accompli, chef d’orchestre, batteur et maintenant chanteur... ses disques se vendent bien! Ses chansons adaptées sont en tête des ventes en Italie, tandis que ses deux dernières formations, quintet et trio, rencontrent un public toujours plus large. Rencontre.

Retour à la mélodie

Consacré par le prix Jazzpar 2004, "le prix Nobel du jazz", Aldo Romano est comblé. Compositeur accompli, chef d’orchestre, batteur et maintenant chanteur... ses disques se vendent bien! Ses chansons adaptées sont en tête des ventes en Italie, tandis que ses deux dernières formations, quintet et trio, rencontrent un public toujours plus large. Rencontre.

En lui remettant le Jazzpar Prize 2004(1), le violoniste scandinave Svend Asmussen a trouvé la formule qui colle désormais à la peau d’Aldo: "Vous avez été l’un des premiers musiciens européens à jouer du free jazz, et l’un des premiers à vous en libérer, pour jouer du jazz en toute liberté". Il est vrai que le parcours du plus français des Italiens est impressionnant d’expériences musicales multiples et variées. Artiste en mouvement, Aldo Romano commence par la guitare mais choisit et apprend son instrument, la batterie, en autodidacte.

Fils d’émigrés italiens, il tente l’expérience free jazz dès 1964 avec celui qui deviendra son premier compagnon d’aventure, le contrebassiste aujourd’hui disparu Jean-François Jenny-Clark. Aldo Romano joue rapidement aux côtés de Keith Jarrett, du trompettiste américain Don Cherry ou encore de l’organiste Eddy Louiss, mais aussi des Français Michel Portal et Jean-Luc Ponty. Free, mais aussi "fusion", comme il se doit dans les années 70, au sein (et entre autres) du groupe Total Issue avec le guitariste Georges Locatelli et le contrebassiste ami Henri Texier, celui-là même avec lequel il taillera la route dans les Afriques des années 90 pour de très inspirées Suites Africaines (2).

C’est en 1978, qu’Aldo Romano grave ses premiers albums, avant de lancer la carrière de feu Michel Petrucciani, puisqu’il soutient le pianiste pendant plus de trois ans ! Depuis, l’éternel amoureux a montré son heureuse "polygamie" artistique puisqu’il sait réinventer sans cesse, l’alchimie de ses formations sans pour autant les oublier. Pour ne citer que lui, le trio mythique, Henri Texier, Louis Sclavis, Aldo Romano qui se produit depuis douze ans à travers le monde. Entre temps, il y a eu bien sûr les chaudes aventures à l’italienne: dès 1990, Aldo s’associait à Stefano Di Battista, devenu depuis incontournable. Sans oublier les élégantes et sensuelles sessions avec Glen Ferris, Paulo Fresu et Michel Benita, à écouter grâce au disque éponyme du collectif Palatino.

Dans la carrière de celui que l’on a si souvent croisé au Duc des Lombards à Paris, les années 2000 sont indiscutablement marquées par la naissance de l’inénarrable quintet Because of Bechet, composé du pianiste et organiste Emmanuel Bex, des saxophonistes Emanuele Cisi et Francesco Bearzatti, sans oublier le jeune et talentueux Rémi Vignolo ainsi que le programmateur Naab, une expérience terriblement enthousiasmante, drôle et énergisante. Avec Because of Bechet, Aldo Romano annonce la couleur ou comment revisiter les standards des années 50 façon 2050 ! L’année 2004, c’est donc l’année Romano, l’année du prix Jazzpar Prize, et l’année de ce nouveau "ménage à trois", traduction improbable de cet album ultra-sensible Threesome, dédié à son "grand frère" Claude Nougaro, et qui nous vaut un rendez-vous, avec l’élégant Italien en cuir, chemise de créateur, doigts bagués... aux réponses souriantes et sereines.

RFI Musique : Threesome, c’est la formule classe et classique du trio piano, basse, batterie avec trois générations de musiciens. Rémi Vignolo à la contrebasse et Danilo Rea au piano. On est heureux de vous avoir écouté sur scène où l'on vous a trouvé beaucoup plus présent que sur l'album...
Aldo Romano : Effectivement, je me mets un peu en retrait car je privilégie les solistes lorsque j’écris la musique. Le composition m’importe plus que mon jeu de batteur. Avec Danilo, nous avions très envie de jouer ensemble, nous nous sommes rencontrés à Rome il y a plus de 20 ans! Il a un sens mélodique qui me séduit beaucoup, et l’idée même de jouer ensemble nous séduit depuis longtemps, mais il a déjà une belle carrière en Italie, et il est toujours sur la route...

Mélodie, le mot est lâché, par vous qui jouez une musique libre, libérée du free jazz !
La musique est une fête à partager avec le public, comme aux Bouffes du Nord l’autre soir. Ce vieux théâtre italien aux murs rouges et orangés est un lieu magique, je rêvais d’y jouer depuis si longtemps. Avec le temps, j’ai réduit la distance avec le public, mais j’ai dû l’exclure à un moment. Je ne me reconnais plus dans l’archétype du super technicien du jazz qui fait son show, sans se soucier une seconde des gens venus le voir. J’ai traversé l’épreuve de la maladie. Ça m’a transformé, je crois. Je suis beaucoup moins timide, j’ai gagné en confiance. Je suis un chercheur d’affection et je vis mes rencontres musicales comme des rencontres amoureuses.

C’est vrai qu’avec le trio, vous êtes de trois générations différentes, vraiment dans l’échange. En flagrant délit de sourire, de communication et de plaisir! Vous avez même chanté Estate en italien, comme un cadeau pour le public...
Avec l’accord des musiciens, qui me poussent tous ! C’est une chanson d’amour des années 60 de Bruno Martino, reprise et popularisée par Joao Gilberto sur son merveilleux disque Amoroso. C’est un morceau que j’avais proposé à Petru (Michel Petrucciani : ndlr) et qu’il a joué. Je l’ai fait découvrir aussi à l’époque à Claude (Nougaro) avec qui j’étais très ami... Nous nous sommes vus jusqu’au dernier instant. Avant sa mort... je lui avais composé le morceau Blues for Nougaro, en guise d’au revoir. J’ai également dédié un morceau au pianiste Michel Graillier (3), Paradise for Mickey, on avait beaucoup partagé.

A plus de 60 ans, vous êtes plus rayonnant que jamais, et les morceaux que vous avez composé pour cette album sont frais, ludiques, tendres, gais, toujours dans une émotion positive.
Je me sens de plus en plus amoureux et gourmand de rencontres musicales, j’utilise des métaphores du discours amoureux parce que ce sont vraiment les plus justes pour exprimer ce que je ressens! D’ailleurs, la voix m’intéresse de plus en plus, et mon dernier morceau Song for Elis salue le talent d’Elis Regina (3), une de mes chanteuses favorites. Vous savez que mes chansons arrangées par Stefano Di Batista et chantée par Nicky Nicolae font un tabac en Italie?

(1) prix décerné à Copenhague au Danemark le 25 Avril 2004
(2) Label bleu
(3) disparu en février 2003
(4) célèbre chanteuse brésilienne

Threesome par Aldo Romano Trio (Universal) 2004