La diva Nahawa Doumbia

La diva du Sahel revient avec un nouvel album intitulé Diby sur la scène malienne. Voix de tête au sourire gracile et au timbre malicieusement éraillé, Nahawa Doumbia invite son compatriote Moriba Koïta et son n’goni à venir converser sur sa musique avec le français Jean-Philippe Rykiel au clavier. Une musique au ton apaisé qui porte en elle un discours d’une lucidité rare. Entretien express.

De retour du Wassoulou

La diva du Sahel revient avec un nouvel album intitulé Diby sur la scène malienne. Voix de tête au sourire gracile et au timbre malicieusement éraillé, Nahawa Doumbia invite son compatriote Moriba Koïta et son n’goni à venir converser sur sa musique avec le français Jean-Philippe Rykiel au clavier. Une musique au ton apaisé qui porte en elle un discours d’une lucidité rare. Entretien express.

Cet album traite de la misère sociale. Koli parle ainsi de "pauvreté amère"…
Dans cette chanson, je parle de quelqu’un qui est bien humainement mais qui est démuni. Une personne peut être bien dans le sens du contact avec les autres mais ne pas posséder les moyens de les soutenir ou de faire quelque chose pour eux. Elle peut être gentille mais détestable pour ceux qui attendent de pouvoir lui prendre de l’argent par exemple. Ils disent alors qu’il est emmerdant quand elle vient les saluer. Quand tu es riche, les gens vont venir vers toi et vont te respecter pour ton argent. Mais quand tu n’as pas les moyens, ils ne te considèrent pas. C’est de ça que je parle dans ce titre.

Vous rendez hommage au défunt président Sankara sur cet opus ?
Thomas Sankara était quelqu’un de bon. Il m’a soutenu dans ma carrière de chanteuse. On s’est connu en 1986. Lors d’une fête de l’indépendance, il a invité dix vedettes à venir jouer à Ouaga, dix vedettes dont Tshala Muana, Nayanka Bell et Aïcha Kone. Mariam Makeba y était en invité d’honneur. A l’époque, j’étais très malade. Mais le président Moussa Traoré a tenu à ce que j’y aille pour qu’il n’y ait pas d’incident diplomatique entre le Mali et le Burkina, que l’on ne dise pas que le Mali refusait de composer avec le régime de Sankara. C’était une période de cessez-le-feu entre les deux pays. Et c’est ainsi qu’on est parti jouer là-bas. Les Burkinabés étaient vraiment contents. Ils trouvaient que je n’étais pas assez présente dans les concerts, dans la mesure où nous étions dix artistes à jouer, et ont exigé plus de concerts de ma part. Ils voulaient que je fasse des concerts seule. Et Thomas Sankara a organisé des tournées dans ce sens.

C’est rare de voir un chef d’Etat africain agir ainsi…
Il m’admirait beaucoup. Avant cet événement, il venait me voir en concert sans s’annoncer. A Bobo-Dioulasso, près de Sikasso, il était venu une fois me voir par surprise. Les gens savaient que le président était dans la salle mais il tenait à rester dans l’anonymat de la foule. Une grande amitié est née entre nous après ce rendez-vous de 1986.

Nkaranka Tji est-elle une chanson contre les hommes politiques. Vous dites qu’il faut "écraser les poux et faire taire ceux qui nous embêtent". C’est ce que font nombre de dirigeants, en considérant leurs citoyens comme des ennemis à abattre.
Ce n’est pas une chanson sur la politique. Il y a beaucoup de politique dans ma vie. Mais je ne mélange avec la musique. Le poux dont je parle peut être dans une famille, dans un foyer ou chez le voisin. Ta copine peut devenir un poux. Même ton propre fils. Le poux c’est l’emmerdeur. Je parle des emmerdeurs dans cette chanson, des gens qui nuisent ou qui médisent ou qui font du mal à autrui.

Vous dites en vouloir à la mort dans Sadjo
C’est une chanson liée à ma propre vie. J’en veux à la mort parce que j’ai perdu ma maman une semaine après ma naissance. Je ne l’ai même pas en photo. Elle ne m’a pas laissé beaucoup de traces de sa vie. J’ai ensuite perdu beaucoup d’amis et de proches.

Pourquoi chantez-vous Nahawa ?
Pour gagner ma vie bien sûr. Je travaille depuis 1974 ou 73. J’ai commencé très jeune. Pas comme griot mais comme chanteuse. J’éprouve du plaisir à faire ce que je fais. C’est important. Maintenant c’est clair que c’est ce qui me fait vivre. Je fais aussi d’autres choses. Je suis aide-soignante. Je continue à avoir ce statut. Mais grâce à la musique, j’ai le droit de ne pas travailler, lorsque je tourne. J’ai ce privilège depuis l’époque des biennales culturelles organisées par le gouvernement. Le gouvernement m’a permis de faire les deux choses. Quand je ne joue pas, je retourne l’hôpital. La prochaine fois que je viens à Paris, je m’occuperais de tes piqûres. Comme ça tu verras ce que je sais faire…

Comment vous voyez la suite de votre carrière après cet album ?
Je voudrais partir un peu. M’éloigner du Mali [et du Wassoulou, sa région natale] pour travailler ailleurs, parce qu’ici j’ai beaucoup d’ennuis. Les gens pensent que parce que tu fais de la musique, tu as beaucoup d’argent. Ils te harcèlent. Mais en même temps, je ne voudrais pas partir complètement… parce que je suis très lié à mon pays. Les jeunes ici ont besoin de moi aussi. Ils attendent beaucoup de moi. Alors je voudrais faire des va-et-vient. Partir et revenir…

Diby de Nahawa Doumbia (Cobalt/ Mélodie – M10) 2004