LA FÊTE DE TOUTES LES MUSIQUES

Ce 21 juin, le temps maussade sur Paris n'a pas empêché la Fête de la Musique de battre son plein comme chaque année depuis vingt-trois ans. Quelques affiches alléchantes comme le concert au ministère des Affaires Etrangères, des retransmissions de ce qui se passaient ailleurs dans le monde (Palais de Tokyo) ou des opérations comme les Fabriques Orchestrales ont parmi aux Parisiens de vivre la musique en direct, dans un esprit festif. Reportage.

Une 23ème édition chaleureuse malgré la pluie

Ce 21 juin, le temps maussade sur Paris n'a pas empêché la Fête de la Musique de battre son plein comme chaque année depuis vingt-trois ans. Quelques affiches alléchantes comme le concert au ministère des Affaires Etrangères, des retransmissions de ce qui se passaient ailleurs dans le monde (Palais de Tokyo) ou des opérations comme les Fabriques Orchestrales ont parmi aux Parisiens de vivre la musique en direct, dans un esprit festif. Reportage.

Ils arrivent en procession, dans de splendides costumes roses et orangés. S’assoient doucement sur la scène. Encadré par deux joueuses de tempura, Ragunath Manet a posé la veena devant lui sur ses jambes repliées. Derrière eux, les deux percussionnistes et la chanteuse qui s’accompagne au sarod attendent le signal. C’est parti, il est 18 heures à Paris, les ragas s’élèvent sous un ciel nuageux, se glissent entre les arbres du parc du Ministère des Affaires Etrangères, enveloppent les spectateurs assis sur la pelouse. Ragunath Manet se lève et commence torse nu une danse sacrée de l’Inde du Sud, le Bharata Natyam. Chaque geste, chaque muscle exprime une émotion, un sentiment. Pris dans les volutes, le public, très mélangé, de toutes les générations, apprécie la performance.Ce n’est que le début d’une soirée qui commence très bien. L’animateur de Couleurs Tropicales sur RFI, Claudy Siar, assure en maître cérémonie. Il annonce maintenant le groupe camerounais Macase, prix RFI Musiques du monde 2001. Le big band (sept artistes) met le feu à la piste sur des rythmes zairois, zouk, soul, jazz… Dans sa roue, le Dominicain Mangu enchaîne très fort, occupe le terrain de la danse, pousse loin en avant le hip hop et le ragga latinos. La fièvre afro-cubaine monte malgré la pluie qui tombe à gouttes comptées. Les enfants sont à la fête, sautent partout. Deux rappels pour le prix Découverte RFI 1998!

Il est déjà tard, il y a le match France-Suisse à la télé mais le football n’a pas pris le pouvoir: le parc est bondé. Claudy Siar reprend le micro et accueille les trois reines de la soirée: les Mahotella Queens. Habillées d’incroyables jupettes blanches et de T-shirts aux couleurs sud-africaines, elles pourraient être les grands-mères des musiciens qui jouent avec elles. Elles attaquent a capella. Harmonies vocales sublimes. Les Mahotellas dansent sans arrêt, le public a la banane, c’est le bonheur sous le parapluie. Tonnerre d’applaudissements.

Bien au chaud dans le Palais de Tokyo, il est possible de suivre les fêtes de la musique du monde entier "Comme si on y était". Ambiance plus cérébrale dans un décor d’art contemporain. Dans une grande pièce noire des sons acoustiques et électroniques et des images venues d’ailleurs par l’internet se mixent, s’éloignent, se rapprochent par la grâce de DJ Alexkid, DJ Seep et l’équipe d’animation visuelle Lavomatic/Morgan Segui. Les gens, assis ou couchés à même le sol, scrutent les deux écrans circulaires suspendus au-dessus de leur tête. Au fond est projetée une immense carte du monde sur laquelle s’allument des points et le nom des villes en fête. Une ligne rouge indique le fuseaux horaire. 0h30, fin du show, dernier métro.

Les Fabriques Orchestrales avaient pour mission hier soir de renouer avec l'esprit originel de la Fête de la Musique. Bertrand Delanoé, maire de Paris, a en effet souhaité mettre en oeuvre une opération qui rassemblerait musiciens amateurs et professionnels. C'est ainsi que dans huit arrondissements de la capitale, des artistes reconnus ont célébré la musique en proposant des concerts de proximité. Bertrand Burgalat, patron du label Tricatel, arrangeur et compositeur a dirigé une classe de chorale du Centre Culturel de la Jonquière et OFX, duo issu du collectif Saïan Supa Crew s'est quant à lui, frotté à un groupe de hard rock de l'école Atla dans le 18ème. Ces Fabriques Orchestrales ont donné lieu à des rencontres étonnantes qui ont enthousiasmé les différents protagonistes.

Abstract Burgalat

Centre culturel de la rue de la Jonquière près de la Porte de Clichy. Samedi 19 juin. Bertrand Burgalat s'apprête à animer un atelier qui rassemble des élèves de la classe de chorale. Les participants n'ont pas l'air de connaître leur interlocuteur et les enfants rigolent doucement aux blagues du musicien. "Je chante comme une patate !" donne en guise d'introduction Burgalat. Pour faire répéter des chanteurs, ce n'est pas l'idéal. Mais l'homme est affable et plutôt de bonne composition. Quand quelques minutes auparavant on lui demande ce qui va être son rôle, il sourit "Mon rôle ? Ce n'est pas très précis justement. Le problème étant de passer de la théorie à la pratique. Comme on a peu de temps (de répétition : ndlr) ce que je voudrais essayer de faire, c'est d'intégrer les musiciens de l'école de musique de la Jonquière dans le groupe de musiciens avec lequel j'ai l'habitude de jouer. Peut-être d'une façon un peu hypnotique, nous allons jouer certaines choses et puis les faire aller et venir dans la musique qu'on jouera. C'est un peu abstrait comme ça. Plutôt que de faire des chansons un peu classiques, nous allons prendre des rythmiques de soul par exemple et faire aller et venir les chœurs un peu comme des riffs. Je tâtonne mais cela m'intéresse d'essayer comme ça."

Bertrand Burgalat n'est pas à une expérience prêt. "Je suis toujours partant pour ce genre d'expérience, surtout quand on ne l'a pas encore fait. J'ai souvent travaillé avec des amateurs mais pas de cette façon là." Pour sa première participation à la Fête de la Musique, il semble même prêt à se mettre en danger "Je tâtonne mais cela m'intéresse d'essayer comme ça. Il y aura peut être une quarantaine de personnes sur scène, c'est pour ça qu'il faut faire simple et clair même si je ne suis pas toujours clair ! On va pas mal improviser. Sur le moment, on verra, il y aura des séquences et on décidera alors de les faire durer ou pas ! Ça ne sera pas complètement figé." La fantaisie légère et l'attitude très relax de Bertrand Burgalat semblent perturber quelques peu les élèves, enfants comme adultes. "Ce qu'on peut apporté aux musiciens amateurs, c'est de leur donner confiance en eux, de les affranchir un peu … La musique est toujours un peu intimidante, pour tout le monde, même si son apprentissage est plus souple aujourd'hui qu'il y a 30 ans." Finalement dans le square des Epinettes où le concert a lieu, les familles sont venus écouter le résultat de cet atelier. Bertrand Burgalat quant à lui, ne s'est toujours pas départi de son sourire presque énigmatique.

C'est la vibes qui parle !

Ces Fabriques Orchestrales permettent des rencontres inattendues. Denver, cheveux long, 18 ans de pratique de guitare derrière lui, donne dans le heavy metal, "tout ce qu'il y a de plus gai comme musique !" A l'occasion de cette opération, il a, avec trois copains de son école de musique, monté un groupe. Deux guitares, une basse, une batterie. Ils ont alors passé une audition pour pouvoir jouer avec OFX, soit Vicelow et Feniksi, du collectif Saïan Supa Crew ce 21 juin sur la scène du Square Carpeaux. "On avait un morceau dans notre album (sorti en février et intitulé Roots : ndlr) plutôt rock, qui s'appelle Black rock et on a proposé une association avec des musiciens qui travaillent dans cette école. Humainement et musicalement, c'était une vraie rencontre" raconte Vicelow. Comme le souligne Denver, "c'était l'occasion pour nous de rencontrer des gens qui ne sont pas de notre milieu. En plus, c'est souvent la petite guerre entre le rap et le hard. On est là pour prouver que ce n'est pas le cas !". De leur côté les deux lascars d'OFX sont plutôt content de l'opération : "Sur la version de l'album, il n'y avait que des samples. La musique est revenue à ses origines. Jouer avec de vrais musiciens donnent plus de puissance, c'est plus vivant" nous avoue en souriant Feniksi. Et ce n'est pas la première fois que les deux rappeurs jouent dans ces conditions. Mais on sent là leur très grande satisfaction à laisser de côté pour quelques heures l'utilisation des samples. Le square Carpeaux ce 21 juin est électrisé. Les jeunes du quartier sont venus en nombre, une deuxième vague arrive juste après la fin du match France/Suisse. L'excitation est à son comble. Vicelow et Feniksi ne parviennent pas à stopper le concert. Ils auront beaucoup de mal à partir.

Après cette 23ème édition de la Fête de la Musique et ses Fabriques Orchestrales, Bertrand Burgalat retournera à la préparation de son nouvel album que l'on attend pour l'automne et OFX continue leur tournée tout l'été. "Un nouvel album de Saïan Supa Crew ? Peut-être l'année prochaine… nous sommes encore sur OFX. Les autres membres du groupe sont sur leur projet, eux aussi. Et puis… il faut travailler sur des maquettes. On n'arrive pas à fonctionner à la commande. C'est la vibes qui parle !"

Jean-François Danis et Valérie Passelègue