La belle réalité de Raphael

Voilà bientôt quatre ans qu’est apparu sur la terre musicale ce Raphael-là. Après deux albums et plus d’une centaine de concerts, il envoie au diable toutes les étiquettes que les médias ont voulu lui coller, prouve tranquillement que les chemins vers les cieux d’une carrière solide ne sont pas ceux qu’on lui avait défrichés. C’est l’histoire d’un parcours qui ne cesse de monter, d’un jeune homme "sur la route" ascendante. En concert à Paris au Bataclan le 25 juin.

Un ange reste

Voilà bientôt quatre ans qu’est apparu sur la terre musicale ce Raphael-là. Après deux albums et plus d’une centaine de concerts, il envoie au diable toutes les étiquettes que les médias ont voulu lui coller, prouve tranquillement que les chemins vers les cieux d’une carrière solide ne sont pas ceux qu’on lui avait défrichés. C’est l’histoire d’un parcours qui ne cesse de monter, d’un jeune homme "sur la route" ascendante. En concert à Paris au Bataclan le 25 juin.

Après la sortie de Hôtel de l’univers en 2000, Raphaël a été taxé de rockeur FM, assimilé à la famille revendicative, comparé vocalement à Bryan Molko (Placebo), défini de petite teigne au physique de minet… Ce premier album à l’accueil mitigé a drainé autant de bavardages explosés l’année passée avec La réalité: le jeune homme de 28 ans se révèle alors sous un tout autre angle, n’en déplaise aux inventeurs de torts. Tout d’abord parce que son apparence fragile vous sourit gentiment, parle avec humilité et une pointe d’humour parfois maladroite, et surtout n’oublie jamais de vous regarder toujours droit dans les yeux. Il s’applique à répondre à tout en se surveillant souvent, s’oubliant parfois, à la fois trop sage et vivant. Ensuite parce que sa voix haute perchée a pour l’oreille habituée, une empreinte très personnelle. Elle perd au fil du temps de sa nasalité, gagne en capacité et en rondeur subtile. Quant au reste, il n’y a qu’à se plonger dans les ambiances fignolées de ce second album pour être convaincu de la différence avec ce qui précédait.

Il faut dire que Raphaël a su s’entourer : La réalité fourmille de collaborations haut de gamme. Il y a entre autres la guitare d’Adrian Utley (Portishead), celle, mandingue, de Djeli Moussa Kouyaté (Salif Keita), les basses de Simon Edwards (Talk Talk), le grand piano de Mike Garson (David Bowie), le tout sous la houlette experte de Jean Lamoot, le réalisateur complice de Bashung, Noir Désir ou plus récemment Dominique A. Rajoutez à cela une chanson entière et un texte offert par Gérard Manset ainsi qu’un duo tube (Sur la route) avec Jean-Louis Aubert et le tableau s’affine "Ce n’était pas prévu du tout. J’ai proposé à Jean-Louis de chanter une chanson avec moi, et pensais au titre Il y a toujours. Il m’a dit non et m’a expliqué qu’il préférerait chanter Sur la route. J’ai dit non aussi! Du moins j’ai répondu que je ne savais pas trop. Donc on a fait les deux pour voir et il avait totalement raison! C’était celle qui se prêtait le mieux au partage et maintenant je la trouve beaucoup plus belle avec lui que quand je la chante seul en concert".

Avec tout cela La réalité a eu toutes les chances de naître sous les meilleurs augures. Les mélodies de Raphaël et les arrangements de tout ce joli petit monde offre un résultat ciselé, soigné, portant à l’onirique et au voyage. Le rock s’est effacé pour faire place à la musique. Le fond également s’est transformé. Les thèmes sont investis de fraternités, d’amitiés, de vagabondages, de références littéraires, d’évasions rêvées, de morts planquées… "Dans mon premier disque il y avait des trucs qui pouvaient paraître moralisateurs, revendicatifs. En fait, je ne suis pas du tout comme ça. J’ai envie de faire des choses plus simples, essentiellement des chansons d’amour, ou encore parler de gens, de personnages." Comprenez par-là que la poésie parfois obscure à nos sens se troquerait bien contre du narratif . "Ce que j’adorerais savoir faire, ce sont des chansons comme Renaud, je trouve ça magnifique. Ecrire des trucs aussi simples que lorsqu’on parle à quelqu’un, c’est ce qu’il y a de plus dur. Quand je fais un texte, je n’écris même pas en fait: j’improvise, j’écoute, c’est un peu comme la libre association, je commence à coller des bouts ensemble et je réécris en fonction. Au départ, je n’ai aucune idée, ou alors j’en ai une sans le savoir".

Outre celles précitées de la réalité et du rêve, l’une des références les plus croisées entre les lignes de Raphaël est celle de l’enfance. Parfois jusqu’à en utiliser le langage imagé et les fautes d’expression spontanées, en en tirant la fraîcheur pour servir des propos plus graves. "En fait, je suis en admiration devant les enfants mais je n’en suis pas un moi-même. Je suis très heureux d’être un adulte et n’aimerais pas revenir à cet état de dépendance. Mais leur langage est magnifique, je les trouve très clairvoyants et précis. Ils ont une manière d’exprimer les choses qui est très poétique". A ces dires, il ne s’agirait donc pas de la difficulté de grandir. "Non. Ça a pu l’être. Un côté enfantin, j’en aurais toujours un, mais il ne s’agira plus de nostalgie." Reste que la dernière phrase entendue de l’album est : "il faut bien que je grandisse"... et face à cette réflexion le chanteur sourit, avoue que cela n’est pas un hasard mais n’en dit pas plus, changeant de sujet et reprenant sa part de mystère et d’esquive polie.

Le mot est pourtant lâché. La nostalgie. Il est vrai que La réalité sonne comme une jolie mélancolie, comme des soupirs sans larmes, une tristesse langoureuse. Raphaël ne nie pas: "Encore un truc dont j’ai envie de sortir! Je me rendais bien compte au moment où je faisais cet album que c’était sombre. Jean Lamoot est quelqu’un qui amène vers ça aussi… alors Jean associé à moi, ça donne des trucs un peu orageux! Mais quand même, j’ai fait tout ce que j’ai pu pour y apporter des touches gaies, avec les guitares africaines par exemple. Et c’est le hasard aussi: travailler avec le pianiste de Bowie, ce n’était pas prévu du tout! La veille on ne le savait pas encore. C’était un vrai cadeau mais il a un côté très romantique, lyrique. En même temps, c’est impossible à enlever une fois là parce que ça fait partie intégrante de la chanson. Au début, cela me vexait quand on me disait ça. J’avais l’impression que l’on me reprochait de faire chier tout le monde. Puis je me suis aperçu en lisant la presse qu’on dit à tous les mecs qui ne font pas de chansongadget : Tu fais du triste. Mais j’aimerais bien faire un mélange de mélancolie et d’espoir".

Pourtant ce paradoxe du salé-sucré faisant cohabiter le grave et le subtil optimisme est déjà présent chez Raphaël. Il se prolonge de la même manière dans les deux chansons bonus offertes sur la dernière édition de La réalité. Mais le jeune chanteur nous promet un prochain album encore différent. Parce sa musique évolue, grandit et s’affine avec lui. Le serment donc d’une carrière qui malgré son jeune âge, en fait déjà pâlir d’envie certains. "C’est génial, on aura fait la première partie de David Bowie, un Olympia, deux Cigales et un Bataclan!! J’ai une chance incroyable, je le sais". Et s’il s’agissait non pas de chance mais de talent?

Raphaël La réalité (Capitol/EMI) 2003

En concert le 25 juin à Paris puis, en tournée dans toute la France.