Karim Kacel en scène
Phénomène sociologique ou symbole de la "deuxième génération" lorsqu’il apparaît dans la chanson, Karim Kacel mène une carrière tenace et parfois trop discrète: rencontre avec le premier beur de la chanson à l’occasion de la sortie d’un album enregistré en public. Il se produit le 13 juillet aux Francofolies de La Rochelle.
Vingt ans après Banlieue
Phénomène sociologique ou symbole de la "deuxième génération" lorsqu’il apparaît dans la chanson, Karim Kacel mène une carrière tenace et parfois trop discrète: rencontre avec le premier beur de la chanson à l’occasion de la sortie d’un album enregistré en public. Il se produit le 13 juillet aux Francofolies de La Rochelle.
"La scène, c’est là où je me sens le plus fort du monde. Je n'ai peur de rien ni de personne". Ce n’est pas un hasard si Karim Kacel a réussi un superbe enregistrement en public, l’an dernier à Kiron Espace, qui vient de sortir. On y entend les grands succès de ses vingt années de chanson (Banlieue, P’tite sœur), des reprises bellement assumées (Comme un petit coquelicot, Syracuse) et une bonne partie de son dernier disque, Rien que pour toi, avec ses accents nord-africains, sa derbouka et son violon oriental.
"Oh ce n’est pas du raï. Le raï, je n’y connais rien", dit-il avec son accent et sa gouaille de parigot. "J'ai mis quinze ans à être moi", avoue-t-il volontiers. Après quelques concerts pendant lesquels il se paralysait derrière sa guitare, il y a vingt ans, il s’était vite métamorphosé à l’imitation de ses idoles, Otis Redding, Al Jarreau, James Brown – une sorte de chanteur de rhythm’n blues dans les formes de la chanson française. Un jour ses musiciens lui ont dit: "Karim, tu ne vas pas tomber dans le bal". Ils m’ont emmené voir un groupe – des spécialistes de la bar mitsvah, quinze musiciens avec des chanteurs de la mort, qui faisaient Stevie Wonder ou Al Jarreau à la perfection pour faire danser les gens. Mes musiciens m’ont dit:Eux, ce sont des clones, toi tu as des chansons, tu as des choses à dire. Essaye surtout d’être toi".
Etre soi, cela a peut-être été – des lustres plus tard – l’enjeu de l’album Rien que pour toi, dans lequel il chante la Kabylie de son père et l’exil en terre étrangère. Et, peu après, il monte sur scène à Paris, au printemps 2003, avec Tizi Ouzou ou La Chanson du Kabyle. "Le spectacle a été très «racines». Quand j'ai commencé l'album, mon père était très malade, on m'avait prévenu qu’il n’en avait plus pour très longtemps. Le disque était d’autant plus important: je n’avais jamais mis d’oriental dans ma musique".
Car il y a bien des paradoxes dans l’histoire de Karim Kacel, à commencer par toutes les considérations sociologiques qui accompagnent, en 1984, le décollage à la verticale de sa carrière par la grâce d’une seule chanson, Banlieue, interprétée à la télévision lors d’un tremplin co-organisé avec la maison de disques EMI. Pour tout dire, on n’a guère vu depuis Mouloudji, Kabyle de mère bretonne, un nord-africain dans la chanson française: dans la France de Mitterrand qui découvre sa "deuxième génération", Karim Kacel marque l’entrée des beurs dans la culture populaire. D’une certaine manière, il ouvre la voie à Khaled, Cheb Mami ou Faudel, mais sans que jamais sa musique ne semble avoir traversé la Méditerranée.
Né en août 1959 dans le XIVème arrondissement, sa culture est plus une culture prolétaire de banlieue que celle du déracinement et du métissage culturel forcé des cités à venir. Il est très marqué par une enfance ouvrière, avant que le chômage et l'insécurité économique ne ravagent les banlieues encore plus sûrement que la dureté du capitalisme des Trente glorieuses. "Toute sa vie, mon père s'est levé tous les jours à six heures pour nourrir ses cinq enfants. Il était OS chez Géo, au Kremlin Bicêtre. Les cochons entraient entiers et sortaient en conserves. C'est de lui que j'ai pris l'habitude d’«y aller», de poursuivre mon chemin, même quand j'ai des doutes – chanteur, intermittent du spectacle à quarante-cinq ans, nourrir une famille, avec les hauts et les bas..."
Au Kremlin-Bicêtre, il n'habite pas une cité, mais un groupe de trois immeubles: "des prolos mélangés, kabyles, français, arabes, portugais..." Rien qui ressemble à un ghetto mais quand même une frontière, celle qui sépare les fils d'ouvriers des "bourgeois"."Un jour, j'ai découvert qu'il y avait deux mondes, un monde qui va dans les bibliothèques, qui va écouter des concerts de musique classique ou de jazz, et un autre monde qui se crée des barrières tout seul. On avait des fantasmes, on se disait qu'il y a des barrières, qu'on ne pourrait pas le faire". Par les copains, par les éducateurs de quartier, il s'ouvre au monde, à la culture, à une ambition: à son tour, il va aider les autres, porter sa pierre à l'édifice commun en devenant éducateur en maternelle. C’est son métier lorsqu’il se décide à essayer de faire écouter les chansons qu’il compose secrètement depuis quelques années…
Une intégration réussie, les Kacel? "Pas d'histoires pour tous les mecs de cette génération. C'est la République qui a voulu ça". Ecoles "mélangées", assistantes sociales qui recommandent l’usage unique de la langue française à la maison, bibliothèques municipales et éducateurs de rue: à cette époque, et surtout dans une ville gérée par le PC, l’accès à la culture et à l’éducation pour tous fonctionne encore convenablement. Une de ses sœurs est devenue un important cadre bancaire. Son petit frère, à force de gratter la guitare pour amuser ses filles, a fini par lui aussi enregistrer, mais pour le jeune public: c'est Samir Kacel, qui a sorti plusieurs albums remarqués depuis 1997.
Karim Kacel Karim Kacel en scène (Créon Music) 2004