Bérurier noir au Québec
Les Bérus ont donné leur troisième concert en quinze ans, le 11 juillet dernier, à l’occasion du festival d’été de Québec. Un véritable déluge a précédé leur prestation, transformant les plaines d’Abraham en un immense bourbier, incitant les spectateurs à goûter aux joies impromptues des bains et jets de boue. Un spectacle tonique devant 50.000 personnes, unique prestation sur le continent américain. Retour avec Loran, Fanfan et Masto, les trois leaders de la bande, sur cette épopée québécoise.
Le Woodspunk des Bérus
Les Bérus ont donné leur troisième concert en quinze ans, le 11 juillet dernier, à l’occasion du festival d’été de Québec. Un véritable déluge a précédé leur prestation, transformant les plaines d’Abraham en un immense bourbier, incitant les spectateurs à goûter aux joies impromptues des bains et jets de boue. Un spectacle tonique devant 50.000 personnes, unique prestation sur le continent américain. Retour avec Loran, Fanfan et Masto, les trois leaders de la bande, sur cette épopée québécoise.
Comment s'est déroulé cette opération commando que vous aviez intitulé Ma cabane massacre ?
Loran : On est arrivé à Montréal le 27 juin pour y rencontrer notre distributeur, le label YFB, qui sortait deux jours plus tard le double DVD, paru il y a quelques mois en France. On est venu sentir l’ambiance, on a fait un peu de promo, en leur expliquant qu’on voulait faire des choix, pas vraiment "politiques", mais par rapport aux personnes. Il s’avère que parfois dans la presse de droite, il y a des gens plus intéressants que dans la presse dite de gauche. Là, on sortait des questions clichées, un peu bateau que l’on avait en France.
Masto : Ce fut à chaque fois des rencontres riches humainement. On n’est pas tombé sur des journalistes qui cherchent l’erreur, comme en France. On a parlé de plein de choses: de BD, d’éducation, d’écologie. On a rencontré des personnes vraiment intéressantes et on a ressenti une bienveillance énorme. Ça fait chaud au coeur. Pour nous, les interviews sont très importantes, parce qu’on ne discute pas entre nous: soit on s’amuse, soit on se parle mal. Du coup, on s’exprime, on dit des trucs, et par ricochet, on sait ce que les autres pensent. Là, si j’ai envie de faire un petit concert sauvage à Montréal, je te le dis, et en fait c’est à eux que je parle. C’est une façon de communiquer.
Vous n'étiez pas seulement là pour la promotion du DVD. Il fallait préparer ce spectacle qui marquait votre retour en Amérique.
Loran : Le 1er juillet, on a commencé à répéter. On voulait un petit endroit un peu retiré. On a été dans les plaines Sainte-Anne à Québec. Avant un gros concert, je ne sors pas. Du 1er au 9, je suis resté enfermé pour emmagasiner de l’énergie. On a commencé à travailler le son, puis l’image. Petit à petit, la troupe est arrivée.
Fanfan : Là, les problèmes ont commencé...
Loran : Moi, je dis que Béru, c’est un bateau, c’est le Radeau de la Béruse. On est tous dessus. Il y a des moments de tempête. Le spectacle s’est monté comme un château de sable, petit à petit. Tout le monde a apporté sa pièce. On a fait un dernier filage avant de jouer, mais pas la veille de jouer. C’est important de ne rien faire avant le concert. Maintenant, ce n’est plus comme avant. Lorsqu’on partait en tournée, ce n’était pas grave. Si on en ratait un, on pouvait se rattraper le lendemain. Aujourd’hui, si on en fait un, il faut que cela soit carton. Il faut que l’on mette tout, que l’on soit concentré et tous ensemble. C’est terrible au niveau des nerfs, du mental. En même temps, c’est passionnant au niveau artistique, c’est une performance, un happening. Mais on a plus de pression qu’auparavant.
Masto : En même temps, on ne vit pas une pression extérieure. On en a une interne, personnelle à chacun. Fanfan et moi, on est un peu speed. Loran, lui, le matin, il a uriné tout autour de la scène. Chacun exprime cela comme il peut.
Loran : D’habitude, je ne pisse que deux fois. Là, comme c’était un gros concert, je l’ai fait quatre fois. J’aime beaucoup les chats, j’en ai une vingtaine, et comme eux, je dois marquer mon territoire. Car ce concert à Québec, c’était du jamais vu. C’était la première fois que le groupe attirait autant de monde. Sur scène, voir cette marée humaine avec leurs petites lumières rouges qui clignotent [qui sont les sésames pour participer à ce festival, NDLR], cela fait chaud au coeur. C’était la revanche indienne. A la fin du concert, lorsque je me suis jeté dans le public, cela a été formidable. Tout le monde a été doux, je n’ai pas eu mal. C’était un rituel. Toutes ces tribus qui arrivaient dans la ville: les punks, les iroquois. C’était hallucinant. Je vis en montagne, dans un endroit sacré, où, parfois, les tribus celtes et ligures se réunissent. Et tu as ce feeling, où tu sens qu’il va se passer quelque chose. Et là, avant le concert, tout le monde sentait qu’il se passerait quelque chose. Il fallait que la pluie arrive. C’était le Béruspunk, et on a joué sur un champ de bataille.
Masto : Ce qui m’a touché lors de ce concert, c’était la pluie. Je me suis vraiment senti gâté. C’est la vie qui nous coulait dessus. Et elle a sauvé des vies, puisque grâce à elle il n’y avait personne sous la tour qui s’est écroulée. Elle a permis un rapprochement entre les spectateurs. J’ai été touché par la manière dont les gens l’ont vécu, dont ils se sont mis à danser dans la boue et à prendre la pluie comme un cadeau. Tout ça était vraiment émouvant et m’a donné envie de sortir le meilleur de moi-même.
Pourtant cela aurait pu mal tourner ? La police était sur les dents, elle s'attendait à des débordements...
Loran : On avait engagé un service d’ordre à nous, c’était important pour que cela se passe bien. On a embauché des skinheads anti-fascistes de Québec et de Montréal. Ils étaient une vingtaine, et avec la pluie, ils se sont transformés en secouristes. Ils se sont mis à porter les gens, à les couvrir, leur donner des boissons chaudes. J’ai trouvé super que ces mecs, qui ont une allure violente, jouent les abbés Pierre. C’était une image super forte. Finalement, c’est vraiment bizarre. On a joué à Paris lors de le fête de la CNT (Cercle national des travailleurs) à Paris, sans masques, rock’n’roll, brut. Ça a duré 1h15, c’était vraiment très fort, et c’est ça les Bérus. Et en même temps, ici, à Québec, c’est aussi ça les Bérus: jouer devant des grandes foules. J’ai l’impression que le groupe nous dépasse complètement.
Masto : Sur des petites scènes, on est assez à l’aise, on est en phase avec ce qui se passe. Les grosses scènes, c’est quand même un gros combat. Juridique avec notre avocat pour faire passer nos demandes: pas de sponsors apparents, des stands pour les associations, la présence physique proche du public... C’est deux mois de lutte pour que la rencontre se passe. Après, il y a des difficultés à jouer si éloignés les uns des autres. J’ai craqué trois ou quatre fois pendant le concert, tellement j’en avais assez.
Fanfan : Et moi, j’ai fait le mec qui chante. Mais moins je les vois, mieux je me porte. Même s’il y a une histoire d’amitié entre nous. Je ne suis pas tout à fait d’accord, mais je les aime bien. Quand je vois tous les jeunes déshérités, toute cette jeunesse itinérante, cela raconte quelque chose sur la société québécoise. Mais ce n’est pas trop à nous de tirer les leçons de tout cela. On a un rôle d’artistes et de comédiens.