Laetitia Sheriff

Pénétrer dans Codification, le premier album de la lilloise Laetitia Shériff relève du jeu d’enfant. Il se laisse apprivoiser dès la première écoute. Il contient d'ailleurs assez d’habiles mélodies, de bons mots, de trouvailles instrumentales inédites pour devenir la bande-son rafraîchissante de cet été. Chronique.

Codification

Pénétrer dans Codification, le premier album de la lilloise Laetitia Shériff relève du jeu d’enfant. Il se laisse apprivoiser dès la première écoute. Il contient d'ailleurs assez d’habiles mélodies, de bons mots, de trouvailles instrumentales inédites pour devenir la bande-son rafraîchissante de cet été. Chronique.

Sur ce premier album, les colocataires de Laetitia s’appellent Olivier Mellano, docteur ès-musique de chambre à coucher debout, promu spécialiste des pièces de clavecins de vingt-cinq minutes, ou de compositions pour huit guitares, et Gaël Desbois son acolyte au sein du groupe Mobiil, un batteur qui a explosé les fûts (de bière) de Miossec, et qui a tenu les baguettes sur les disques de Santa Cruz. «J’ai fait la rencontre des deux garçons sur la tournée de Françoiz Breut. Olivier, venu me rejoindre sur scène pour jouer un ou deux morceaux dans le cadre de sa conceptuelle Ile électrique, m’a beaucoup encouragée pour me lancer dans la réalisation de l’album» se souvient Laetitia. Il a apporté beaucoup de volupté au son de Codification, grâce à une orchestration habituelle guitare-basse et batterie enrichie de samples, accords de synthétiseur moog, percussions ou harpe.

Codification se décline en onze épisodes, tantôt dépouillés comme Baby Man, tantôt habillés de sonorités nordiques (Music Box), évoquant la délicate sensualité des accords des norvégiens de Bel Canto ou de l’Islandaise Emiliana Torrini. La basse de Laetitia se cale sur les premières balles verbales de Codification, une chanson rock qui sonne comme un tube. Autre originalité, un texte du poète irlandais William Butler Yeats se glisse à la septième plage du CD, «j’ai un ami assistant en fac d’anglais qui possédait un recueil de Yeats.Mon attirance pour ses textes a été immédiate.» Laetitia Shériff a découvert par hasard que cet autre poète irlandais qu’est Van Morrisson, avait lui aussi repris ce texte en chanson. La reprise de That Lover a été possible grâce au consentement in extremis des ayants droits, les bandes devant prendre de toute urgence le chemin de l’usine à disques.

La chanteuse a fait le choix de l’anglais et ça lui réussit bien, son écriture légère, métaphorique cadre parfaitement avec la langue, «ce ne fut pas toujours simple de chanter en anglais dans des lieux comme le Relax, un bar-musette de Lille où des jazz women côtoient des jeunes groupes de rock à l’occasion d’open-micro. Certains habitués me disaient avec l’accent Ch’ti «on comprend rien à ce que tu dis!» et comme sur ce genre de scène, tu n’as que deux chansons pour faire tes preuves, il fallait un peu de volonté.» Aujourd’hui, la jeune femme peut développer ses histoires sur la longueur, laisser libre cours à son imagination pour réorchestrer différemment sur scène certaines chansons de l’album. Ce premier travail qui sonne rock, pop et infiniment moderne évoque aussi la pop de la grande Albion des années 80, célèbre pour ses messages sarcastiques (The Smiths, Mabuses), refrains pop emplis d’émotions (The Cure).

Sa douce voix de protest-singer paisible est pleine de contrastes. Elle se renforce quand il faut classer les cases et castes de la société que Laetitia critique sur la chanson Codification. Avec ces messages contenus dans quelques-uns des chefs d’œuvre de l’album, l’artiste du quartier populaire lillois de Wasem ne souhaite-t-elle pas rassurer les rêveurs embarrassés par la lourdeur du quotidien, les déprimés qui ne vivent plus que pour l’argent, leur proposer une échappatoire? Il y a chez Laetitia un encouragement à ne pas baisser les bras, une vigilance positive pour sortir du carcan Bush-Blair-Bardot-Sarko. «Je suis admirative de l’attitude des membres d’un groupe comme Fugazi. Ils ont décidé de ne pas utiliser d’autres moyens que leur propre label Dischord records pour distribuer leurs albums, de rester végétariens et de se pas accepter le consumérisme à outrance de leur pays. C’est ce que résume Codification, une forme de coup de gueule, pour ne pas laisser les gens ne plus prendre soin d’eux-mêmes, pour qu’ils ne se fassent pas rattraper par une forme de fatigue». Les guitares acoustiques dessinent musicalement des points d’interrogation sur The Date, une chanson qui signifie qu’on ne sort pas indemne de certaines absences familiales.

La famille de Laetitia Shériff s’agrandit, les fans se multiplient. Certes, ce petit bout de femme est n’hésitons pas à la parier, l’avenir du rock français. Mais on peut déjà compter sur Codification pour écrire l’histoire au présent.

Laetitia Shériff Codification (Wah Wah/Naïve) 2004