Miss Kittin enfin seule
Française, d’adoption berlinoise, Caroline Hervé alias Miss Kittin a longtemps croisé musique électronique primaire et esprit new wave. Elle s’en détache aujourd’hui avec une production jouissive I com. Parcours.
Un ravissant fouillis pour premier album
Française, d’adoption berlinoise, Caroline Hervé alias Miss Kittin a longtemps croisé musique électronique primaire et esprit new wave. Elle s’en détache aujourd’hui avec une production jouissive I com. Parcours.
Début des années 1990, la techno déferle en France... dans les squats, les hangars délaissés, c’est l’âge d’or des rave parties "esprit d’origine", liberté et folie associées. Notre héroïne, jeune étudiante en art, sillonne le pays chaque week-end à la recherche des meilleurs DJs. A Grenoble, sa ville natale, elle rencontre, c’est important pour la suite de l’histoire, un certain Michael Amato surnommé The Hacker. D’abord gogo danseuse ("mais jamais nue juste pour le spectacle") dans un club, les mains finissent par lui chauffer. Elle s’essaie une première fois au mix en 1994, pour en remontrer à son copain de l’époque. Trois mois plus tard, Miss Kittin est programmée dans une soirée.
Elle retourne écumer la France entière mais, cette fois ci, pour jouer. Deux ans plus tard, lors d’un été à Marseille, rencontre avec DJ Hell, patron du label de techno (très) répétitive International DJ Gigolo. Elle lui fait écouter quelques ébauches de compositions. Il en redemande. Miss Kittin appelle The Hacker, ils enregistrent dans la foulée leur premier titre Frank Sinatra. Voix ingénue chantée-parlée sur musique électronique basique, c’est un hit qui fait se tordre les pistes de danse européennes. Le duo est lancé avec comme marque de fabrique : esprit new wave et second degré. "A l’époque, quand j’enregistre le refrain "Frank Sinatra est mort", je pense vraiment qu’il l’est. Un ami me dit que le titre est drôle parce qu’il est toujours vivant. Je ne voulais pas y croire et je me suis sentie coupable, surtout quand il est mort trois mois après..."
Champagne et tournées
Pendant cinq ans, le duo enchaîne les prestations en public avec cette fois l’Europe comme terrain de jeu. Ils se produisent devant 30.000 personnes à Dortmund et participent au mythique festival Sonar de Barcelone. Deux maxis (Champagne et Intimités) se succèdent sur le label de DJ Hell, le titre 1982 fait un nouveau carton. En 2001, le couple, artistique, publie son premier album qui reprend une grande partie des titres déjà enregistrés. Grâce à ce timbre de voix faussement candide, Miss Kittin tape dans l’oreille de nombreux producteurs. Elle multiplie les collaborations avec des pointures du style Sven Vath, Felix Da Housecat ou encore l’Anglais Tricky. Comme dans le cas de la rappeuse française Diam’s, les disquaires pourraient lui dédier un bac entier, rien que pour ses participations.
La Grenobloise ne baisse pas pour autant le tempo. Chaque week-end, elle mixe en soirée principalement en Allemagne et en Suisse, délaissant la France à la législation peu festive. Ses sets évoluent. D’abord très hard techno, elle s’oriente vers une musique plus ouverte, plus apaisée avec toujours comme but de faire danser son public. Finalement lassé des concerts et des tournées, le duo s’accorde une pause. Miss Kittin se réfugie à Berlin où elle trouve une vraie famille, crée son propre label Nobody’s bizzness et sort une compilation plutôt relaxante Radio Caroline. En gestation, un heureux événement : son premier album solo.
Big Bazar
On y trouve de tout, hits groovy, titres post-rocks ou planant à l’électronica. I Com regorge des deux fameux ingrédients de la dame : chant nonchalant très en avant et solide sens de la dérision. Epaulée par les Allemands Tobi Neumann et Thies Mynther, elle décoche deux plages très dansantes en ouverture. Les affres de la vie de DJ dans Professional Distortion et comment concocter un tube avec Requiem for a hit. Miss Kittin gagne la palme du refrain le plus hilarant de crétinerie pour Meet Sue Bee She. Sans oublier la reprise décalée, indispensable pour tout album branché. Celle de Troisième sexe d’Indochine fera se pâmer, sans honte, les nostalgiques trouvant l’original par trop ringard. Le reste des compositions s’ouvre sur des atmosphères planantes, avec plus ou moins de succès. L’ambiance "sons triturés" et nappes synthétiques tombant parfois à plat. Miss Kittin réussit tout de même où nombre ont échoué : être aventureuse sans être pompeuse, expérimentale en restant accessible. Une vraie fraîcheur dans le mouvement électro. "Je trouve mon inspiration des choses et des gens autour de moi, une femme dans le bus, mon professeur de yoga, mes chats, le livre que je suis en train de lire... Mais je n’ai jamais essayé d’aller dans le même sens que quelqu’un d’autre, comme si j’avais une idole". Elle ne revendique qu’une référence : Madonna. Si ce n’est le même parcours, souhaitons-lui la même longévité.
Miss Kittin I Com (Labels) 2004