LE DIALOGUE D'EMMANUEL BEX

Emmanuel Bex dialogue avec lui-même à l’orgue et au piano. Entre force et tendresse, il conjugue le masculin avec le féminin de ses instruments. Conversing with Melody est le septième album du jazzman. Rencontre.

Jazz entre orgue et piano

Emmanuel Bex dialogue avec lui-même à l’orgue et au piano. Entre force et tendresse, il conjugue le masculin avec le féminin de ses instruments. Conversing with Melody est le septième album du jazzman. Rencontre.

C’est vrai qu’il a un air à la Clint Eastwood, accentué sans doute par son look rock’n’roll de cow-boy en cuir au charme buriné…mais uniquement lorsqu’il ne sourit pas. Car Bex rit souvent, et de tout. De l’engouement de la planète pour le Tour de France, de l’impossible répétition d’un concert de jazz (c’est de la musique improvisée!), de lui-même? L’artiste sait se regarder avec humour mais aussi s’apprécier avec rigueur.

Côté scène, il se produit surtout avec son ami Aldo Romano (batteur, compositeur), avec qui il partage une même conception du concert, comme un échange fraternel. Que ce soit en trio, avec Jean-Philippe Viret ou Francesco Bearzatti à la basse ou bien Louis Winsberg à la guitare, ou que ce soit en quintet pour le projet Because of Bechet. Mais il est également membre du groupe Octovoice du saxophoniste Sylvain Beuf!

Côté studio, il signe avec Conversing with Melody, son septième album en moins de dix ans, sans compter les nombreuses participations sur les albums de sa tribu. On peut en effet parler de tribu tant les artistes de jazz ont un comportement dicté par l’alchimie des groupes où ils se produisent sous toute forme de configuration, mais toujours dans la logique des affinités, pour ne pas dire des familles musicales. Fidèle des clubs parisiens, enseignant au CIM (Centre d’Information Musicale), Emmanuel Bex s’est donc essayé à de nombreuses pratiques, sans oublier ses jeunes années avec le percussionniste Xavier Jouvelet, rencontré à Uzeste, le village des grands chambardements annuels orchestré par le batteur, pianiste, chanteur et accordéoniste, Bernard Lubat. A l’époque, leur spectacle happening et provocateur s’appelait King Kong contre Bex –Jouvelet! Aujourd’hui, Bex a 45 ans et convie Emmanuel à l’exercice du solo, dans une recherche d’épure et de profondeur…la maturité?

Le titre en anglais de votre nouvel album Conversing with melody évoque le titre d’un album de Bill Evans : les conversations "with myself"…

Emmanuel Bex : Bill Evans est un de mes pianistes favoris, et je voulais lui faire une dédicace. Lorsque j’ai choisi mon instrument, le piano, c’était vraiment parce que j’étais attiré par la délicatesse qu’il offrait. Et puis la rencontre avec le jazz s’est faite à travers la rencontre avec Eddy Louiss, et l’orgue hammond, ce qui pour moi a été un grand choc esthétique et affectif. Et là, je me suis investi totalement, car l’orgue impose une autre manière de voir. Les sons qui étaient simplement feutrés au piano deviennent lyriques, les notes qui s’évanouissaient tendrement tiennent avec force. L’orgue, c’est un instrument qui a des jonctions presque populaires, au sens pop du terme. Et puis si je reviens vers le piano, c’est parce que j’ai un besoin absolu de tendresse, ça n’a rien avoir avec l’époque dans laquelle on vit (rires), c’est plutôt une démarche personnelle, pour re-dire des choses douces et sensibles.

Le principe de cet album solo, c’est un musicien, vous, et deux instruments, l’orgue et le piano, la douceur et la force réunie?

Je me méfie un peu des sens uniques (rires), j’aime que ça circule! Si je croyais aux astres, je pourrais penser que c’est l’expression de mon signe : le gémeau. L’idée d’avoir une main dans l’orgue et une autre dans le piano me permet en tout cas de réunir ces deux idées sonores et finalement, ma personnalité musicale, elle est là! J’ai d’abord entrepris d’enregistrer l’orgue car c’est l’instrument qui assure la fonction rythmique, mais dès que j’avais terminé un morceau, après quelques minutes et éventuellement un verre (rires), j’enregistrais la partie de piano, dans l’instinct, l’orgue entre les oreilles.

Si l’on veut donner un exemple de la pulsation que donne l’orgue, on peut peut-être citer Ménilmontant, que l’on connaît interprétée par Charles Trénet?

Oui, Ménilmontant, c’est une des chansons populaires françaises qui se prête le mieux à cette manière de jouer, parce que le jazz, c’est une manière de jouer. Ménilmontant est structuré d’une façon logique, c’est très carré, un support joyeux au dialogue. C’est le cas des standards de jazz américains, mais c’est beaucoup plus rares dans la chanson française, plus fantaisiste dans sa construction.

Vous avez également composé cinq morceaux pour cet album, lequel préférez-vous?

Je voudrais parler de celui que j’ai composé pour mon ami disparu Michel Graillier, c’est le morceau pour lequel j’ai le plus de tendresse car c’était un musicien formidable et j’ai voulu l’évoquer à travers la couleur des tonalités, auxquelles je crois. Je ne suis pas le premier à le dire, Berlioz avait fait tout un traité sur la couleur des tonalités. Michel Graillier, c’est une musique que j’ai composé en partant du do majeur, une tonalité assez carrée, assez plate, pour finir ré bémol, une tonalité beaucoup plus modulée (rires). Maintenant, j’ai compris qu’une musique qui ne dégage pas de tendresse, ce n’est pas de la musique.

Emmanuel Bex Conversing with melody (Naïve) 2004