Stéfie Shock
Rareté dans le petit monde de la chanson québécoise : un personnage culte de l’underground montréalais, issu de la culture DJ, qui parvient à séduire un large public sans perdre ni son cool ni son pied dansant. Onde de choc qui pourrait bien se propager à l’Europe grâce à la sortie de son 2ème album le Décor.
Celui par qui le courant passe
Rareté dans le petit monde de la chanson québécoise : un personnage culte de l’underground montréalais, issu de la culture DJ, qui parvient à séduire un large public sans perdre ni son cool ni son pied dansant. Onde de choc qui pourrait bien se propager à l’Europe grâce à la sortie de son 2ème album le Décor.
Ce n’est pas pour rien, le pseudo. Dans le civil, il s’appelle Stéphane quelque chose, mais Shock le désigne idéalement. Quiconque l’a vu en spectacle ce printemps au Club Soda (800 places) ou cet été au Spectrum (1200 places), quiconque le verra cet automne au Métropolis (2500 places, notez la progression) confirmera : Stefie Shock est une machine à flammèches. Un conducteur d’électricité. Une dynamo. Un second M’sieur 100.000 volts, titreront bientôt les collègues français en mal de formule, pour peu que l’invasion projetée réédite le coup des Alliés à Rommel et qu’après le Québec, le chanteur électrise la France (on parie cher là-dessus chez Warner-France, récente signature en preuve).
Chez nous, rien ne résiste plus à l’onde de Shock. Son spectacle, bâti comme un fantasme de DJ autour des chansons étonnamment variées et invariablement dansantes de l’album Le Décor, son deuxième et son plus représentatif, tient du "blitzkrieg son et lumière". Fantasme ? Stefie a été un vrai de vrai DJ pendant sept ans (au Café Central, quartier général des nuits du centre-ville), et mille millions d’échantillons de chansons, de rythmes et de riffs se sont logés à demeure dans son bas cervelet, stock de choc pour chanteur chic aimant les mélanges qui s’entrechoquent.
À vrai dire, il emmagasine de la musique depuis presque toujours, le Stefie. C’est tout marmot, dans la maison parentale du nord-est montréalais (où il naît le 9 mars 1969), qu’il accuse le choc Led Zep, dont il jure ne pas s’être encore remis. Sur le tourne-disques de plastique prévu pour le thème de Kiri le clown et autres enfantillages, il se gave de James Brown, de Pierre Henry, des Stones. Un précoce, le Stefie. À l’appétit féroce. Appétit qu’il n’a jamais rassasié : l’affamé bouffe encore du CD comme il bouffait du vinyle, chouchou des disquaires, surtout ceux qui ferment tard le soir.
Tout garçonnet, jure-t-il aussi, il composait déjà des chansons. La nuit. Dans sa tête. Pour un peu, il aurait pu s’éviter le parcours obligé de l’auteur-compositeur-interprète en devenir, mais non. À treize ans, comme il se doit, Stefie tape sur des peaux dans le "big band" de l’école. Suit l’inévitable groupe et les premières scènes : jouer devant des gens, c’est le second choc fondamental. Et puis le groupe lasse forcément, Stefie tente forcément l’aventure en solo, galère forcément, stagne forcément, progresse forcément un peu, galère forcément encore, l’habituel topo. Dans le milieu underground local, il devient personnage avant d’être vedette. De boeufs privés en mémorables nuits montréalaises, sa légende se fomente, le DJ fait tourner les têtes et frétiller les orteils (comme dans sa chanson Le Pied dansant). En 1999, il a 30 ans, le temps est venu d’émerger. Une rencontre avec un réalisateur français (Dimitri Tikovoï) le mène dans un studio de Londres ; il en ressort avec un premier album (Presque rien), un premier single qui cartonne dans les radios et les boîtes (Je combats le spleen), ainsi qu’un nom aussi facile à retenir que ses refrains. Parce qu’il a du beau Serge dans le faciès et du Gainsbourg dans le timbre grave, on le croit copieur, alors qu’il est décantation de mille millions de disques, y compris ceux de l’homme à tête de chou. Première impression qui s’estompe au deuxième album : dans Le Décor, il n’y a plus que Stefie Shock pour ressembler à Stefie Shock.
Le chemin vers l’Europe est tout aussi forcément sinueux. En 2001, les accolades officielles – prix Québec/Wallonie-Bruxelles, prix Félix-Leclerc – l’envoient se faire voir et entendre un brin prématurément aux FrancoFolies de La Rochelle, où il se ramasse un joli bide en forme de gifle, et puis aux Francos de Spa où, fouetté, il en impose. L’album qui aurait dû suivre ne suit pas, l’heure de la conquête est remise : il faut attendre novembre 2003 pour qu’on relance Stefie sur le vieux continent, Le Décor en bagage. Et encore, de la case départ, c’est l’intimiste Sentier des Halles qui lui sert de tremplin. Au moins, ce coup-ci, on a préparé l’avenir. L’album sera bientôt disponible partout, le spectacle sera proposé dans sa version bombardement sensoriel. Et comme ici, se dit-on, on finira forcément par fredonner du Stefie. "Un homme à la mer pour chaque fille amère..."
Stéfie Shock, le Décor, (Warner France), 2004
Sylvain Cormier