Khaled

On le disait usé, la voix cassée par l’alcool et les cigarettes. Khaled Hadj Brahim s’est refait une santé au Luxembourg, où il réside désormais, et revient avec un sixième opus aux couleurs rétro. Pour le seul raï de l’album, Ya-Rayi, il a innové, enregistrant entre Paris et L.A. via Internet avec son vieux complice Don Was. Entretien.

Ya-Rayi

On le disait usé, la voix cassée par l’alcool et les cigarettes. Khaled Hadj Brahim s’est refait une santé au Luxembourg, où il réside désormais, et revient avec un sixième opus aux couleurs rétro. Pour le seul raï de l’album, Ya-Rayi, il a innové, enregistrant entre Paris et L.A. via Internet avec son vieux complice Don Was. Entretien.

Vous avez voulu travailler en confiance avec des producteurs que vous connaissiez ?
C’est vrai. Il y a mon ami Philippe Eidel avec lequel j’avais déjà réalisé deux albums, dont Didi. J’ai voulu retrouver les personnes avec lesquelles j’avais fait des titres qui avaient bien marché. Vous savez, dans ce métier, on est parfois superstitieux.

Ce nouvel album n’est-il pas un retour aux sources de la musique arabe ?
C’est le patron de ma maison de disques qui m’a incité à reprendre des vieux titres de châabi algérois. C’était la première fois que je chantais de telles chansons. Je me devais d’être sérieux, de ne pas rigoler. Le châabi, c’est un autre monde que le raï. Il y avait un vrai maître de ce style, le regretté Cheikh El Hadj Mohamed El Anka. Tous sont passés par son conservatoire, et j’ai voulu lui rendre hommage. Pour Mani Hani, le premier titre de l’album, j’ai dit à Philippe Eidelque j’aimerais bien faire un ping-pong, à savoir une partie en français, l’autre en arabe, comme lorsque nous étions colonisés. Parce que, à cette époque, on ne parlait pas qu’en arabe. Et dans les chansons, ce qui était beau, c’était le mariage des deux langues. J’ai voulu retourner aux sources de notre musique, à l’époque des colonies.

C’est vrai, on a un peu l’impression d’entendre un vieux crooner des années 60...
C’est ce qui fait le charme. Vous savez dans la musique oranaise, si on écoute bien les premiers albums, il y a beaucoup de chansons avec ce style d’intonations. Les Blaoui, Blanc Blanc, Maurice El Medioni, même Enrico Macias, qui vient de Constantine avec son maalouf. Du coup, j’ai réuni Blaoui et Medioni pour enregistrer ce premier titre. Cela faisait quarante ans qu’ils ne s’étaient pas vus. Blaoui vit en Algérie, Médioni à Marseille. Lorsque Blaoui a vu Médioni, il a failli s’évanouir.

Ya-Rayi détonne dans cette atmosphère rétro...
Pour changer un peu, j’ai voulu travailler avec Doctor Dre. Comme il n’était pas libre, on a recontacté mon vieux complice Don Was, qui a fait trois albums avec moi. Je me suis dit qu’il n’y a que lui qui connaît ma musique. On est frères, on est amis. Il était alors en train de produire le prochain album des Rolling Stones. Il a demandé à Mick Jagger une petite semaine de relâche pour faire ce titre. Mick lui a donné son feu vert. Mais comme il me fallait plus de quinze jours pour obtenir un visa pour les Etats-Unis, j’ai envoyé mon régisseur avec les bandes à Los Angeles et j’ai proposé à Don de voir si on pouvait travailler par Internet. Il s’est renseigné et m’a dit: "On peut essayer". J’ai trouvé un studio à Paris qui pouvait fonctionner ainsi et on s’est mis à l’oeuvre. On a travaillé avec une webcam, on s’envoyait les fichiers, mais c’était un peu lourd parce qu’ils arrivaient piste par piste. Il fallait huit ou neuf heures pour les transférer. Pour les sons, ça marchait vraiment bien. J’ai d’ailleurs joué du synthé pour m’amuser, et lorsque Don m’a vu avec la webcam, il m’a dit: "Tu es fou, c’est toi qui doit jouer ce titre".
C’était vraiment inédit comme expérience. D’ailleurs, Don s’est renseigné dans tous les studios de L.A. pour savoir si une telle expérience s’était déjà réalisée et il m’a ditque nous étions les premiers à faire un trucpareil. Ya-Rayi s’est donc enregistré virtuellement.

Zine Zina est un titre sur lequel vous ne pouvez pas vous empêcher de tenter une nouvelle fusion du raï. Avec le zouk de Jacob Desvarieux, cette fois...
J’aime bien Jacob, j’écoute sa musique depuis longtemps. J’avais joué avec Kassav à Bercy pour leur vingtième anniversaire. Depuis, Jacob m’appelait souvent pour me proposer des titres. Le zouk fait bouger. C'est comme mon raï, c’est de la musique de fête. Il n’y a pas de différences entre les deux musiques, elles viennent toutes les deux d’Afrique, parce que ce ne sont pas des blancs aux Antilles. Desvarieux était très content lorsque je lui ai envoyé le titre. Je lui ai dit: "Travaille déjà avec ma musique, ensuite je prendrai la tienne". Le lendemain, lorsqu’il m’a envoyé sa version, j’étais étonné. Je me suis dit: ça, c’est du gnawa, de la musique du Maroc, de mon Sahara d’Algérie, de la transe. Je n’étais pas dépaysé.

Le raï et le châabi se côtoient donc sur cet album. La guerre musicale entre Alger et Oran est-elle finie ?
C’est un peu comme entre Paris et Marseille. Chez nous, à Oran, on est des fêtards. A Alger, ils manifestent, ils parlent de leurs droits. C’est la capitale. Mais à l’époque du terrorisme, les Algérois venaient passer leurs vacances chez moi, ils m’appelaient pour me dire: "Je viens passer mes vacances en Suisse". La Suisse, c’était Oran.

Khaled Ya-Rayi (AZ-Universal) 2004