Kid Loco, le rock bondage

Jean-Yves Prieur, alias Kid Bravo, commence punk en 1978 avec The Brigades et cofonde avec Philippe Baia et Marsu un des labels-phare de la scène alternative française des années 1980, Bondage (Bérurier Noir, Satellites, Ludwig Von 88, Parabellum etc). Il continue avec Nuclear Device, en mélangeant reggae, punk et rock. Réincarné en artiste "électro" (et plus que ça) sous le nom de Kid Loco, il écrit, compose, produit, remixe pour lui et pour beaucoup d’autres, en France et à l’étranger. Le Kid revient sans pitié sur la naissance du rock français alternatif dans les années 80 :

"Le rock français n’existe pas"

Jean-Yves Prieur, alias Kid Bravo, commence punk en 1978 avec The Brigades et cofonde avec Philippe Baia et Marsu un des labels-phare de la scène alternative française des années 1980, Bondage (Bérurier Noir, Satellites, Ludwig Von 88, Parabellum etc). Il continue avec Nuclear Device, en mélangeant reggae, punk et rock. Réincarné en artiste "électro" (et plus que ça) sous le nom de Kid Loco, il écrit, compose, produit, remixe pour lui et pour beaucoup d’autres, en France et à l’étranger. Le Kid revient sans pitié sur la naissance du rock français alternatif dans les années 80 :

C’est quoi le rock français dans les années 80 ?
Il n’y a jamais eu de rock en France. Téléphone [groupe de rock en français très populaire, dissous en 1984], ça n’a jamais été du rock pour moi dans le sens où ça n’a jamais représenté un danger pour qui que soit : si tu prends Chuck Berry, les Rolling Stones ou les Sex Pistols, à chaque fois c’était la révolution qui arrivait ! Quand bien même on pouvait considérer que ces groupes là faisaient du rock, il n’y avait de la place que pour un seul : quand Téléphone plaçait un hit dans le Top 50, c’était tout. Alors qu’en Angleterre il y avait au moins 20 singles de rock dans le Top 40, David Bowie, les Stones etc. On n’a jamais eu ça en France. A l’époque j’habitais en banlieue, à Orly, on achetait des disques anglais, les Who etc. J’avais des amis qui étaient obligé de se tourner du côté de Lavilliers Thiéfaine, Higelin, pour trouver du rock chanté en français. Pour eux, écouter Trust, à la limite, oui, pourquoi pas, parce qu’ils étaient proche d’AC/DC, mais Téléphone, non, c’était un truc pour gamin.

C’est comme ça qu’arrivent des groupes comme les Béruriers Noirs et des labels comme Bondage, pour prendre la relève ?
Tous les gens qui ont participé à cette scène-là étaient des petits punks à la fin des années soixante dix. Moi j’avais 13 ans en 1977, je vois la photo des Sex Pistols et je me dis "ouais, c’est parfait !" J’ai connu les futurs Bérus en 1978. On a vécu cette époque le regard vissé sur Londres. En France, il n’y avait rien. Dix 45 tours punks, aucun album. Les majors n’en voulaient pas. Les groupes de ‘rock’ devaient chanter en français. Je regardais l’exemple des labels indépendants anglais et je ne voyais pas pourquoi j’aurais demandé à quelqu’un le droit de faire de la musique. J’ai enregistré mon premier disque à 15 ans, avec The Brigades. Un 45 tours autofinancé. On se disait, si on en vend 500 on se rembourse, si on en vend 1000, on peut enregistrer le suivant. Ensuite j’ai rencontré Philippe Baia, prêt à s’impliquer financièrement, avec des connections. On est passé de l’idée d’autogestion à celle de label. On est plusieurs à avoir l’idée en même temps, au même moment. Ça a commencé à fonctionner.

Comment s’est développé cette scène alternative ? Le public a suivi ?
Il y a eu les radios libres. Avant, c’était impossible de passer à la radio. Les programmateurs passaient Steely Dan en boucle! Je faisais une émission avec les copains sur une radio libre, dans ma banlieue, tous les mardis de 10h00 à minuit, on passait ce qu’on voulait ! On allait aussi à Paris, à Cité 96, radio libre de Montmartre, où il y avait des invités et une musique d’enfer de 8h00 du soir à 4h00 du matin! Il n’y avait que ce média-là pour s’exprimer et les fanzines qui ont apparu à moment-là. La scène a commencé d’exister et a grossi grâce à tout ces gens qui partageaient les mêmes envies et se retrouvaient dans les squats artistiques: les graffeurs, les photographes comme Masto, les peintres de la nouvelle figuration libre [Combas etc]. Quand tu fais les choses, les choses existent et les gens suivent. Tout ça restait quand même à une petite échelle - les Bérus n’ont jamais eu de disque d’or pendant qu’ils existaient -, mais ça s’est développé.

La scène alternative des années 80 a-t-elle renouvelé "le rock français" ?
On a une tradition "danse des canards" en France et je pense que dans les années 80, on n’y a pas échappé. Les Satellites, les Bérus (en photo ci-dessous), les Ludwig, c’est le côté "on va se marrer", grand guignol. On fait un peu du cirque, nous, ici. On a créé un truc typiquement français, mélangé à la chanson réaliste, avec des looks bérets-pantalons pourris, un genre de "punk gavroche", "Titi parisien-qui-va-au-bal".

Est-ce le chant en français qui rend impossible un "rock français" ?
En anglais on peut écrire une chanson comme on parle, pas en français. Historiquement, le rock est une musique en anglais et pour moi chanter le rock en français c’est comme chanter du flamenco en allemand, ça n’a pas de sens. C’est ma façon de voir les choses, je n’ai jamais écrit de chansons en français. Mais si tu es en France et que tu chantes en anglais, tu ne vends pas. Alors il a fallu trouver un langage. Dans les années 80, des gens ont commencé à libérer le langage rock, à inventer une langue: Bérurier Noir y a participé, Métal Urbain aussi, Noir Désir a réussi à le faire, en inventant une autre syntaxe, en coupant un peu, sans verbe, on enlève des adjectifs... ça se rapproche de ce que Céline a pu faire avec la langue française. Mais cette adaptation du français au rock est une démarche artistique et non viscérale. Or le rock est un truc viscéral, dangereux, fait pour déstabiliser. Une minorité s’impose à sa façon à la majorité: la majorité ne la suit pas mais cette façon devient présente dans leur quotidien : "oh la la, je ne veux pas que mon fils se marie avec le chanteur des Stones, je ne veux pas que ma fille regarde les Sex Pistols dire des gros mots à la télévision etc.". En France, aucun groupe n’a fait ça, à ce niveau là."

propos recueillis par Jean-François Danis

Merci à Marsu, cofondateur de Bondage et fondateur de Crash Disques pour les photos et son point de vue sur la scène rock française des 80’s. Crash Disques réédite les Ludwig, les Thugs etc.