Daniel Lavoie

Au-delà d’Ils s’aiment et le rôle de Frollo dans Notre-Dame-de-Paris, le chanteur canadien Daniel Lavoie est une personnalité singulière, qui assume avec plaisir ses paradoxes et ses ambiguïtés. Avant sa rentrée à Montréal, il porte à la scène, à Paris, les chansons de son album Comédies humaines.

Un Singulier Pluriel

Au-delà d’Ils s’aiment et le rôle de Frollo dans Notre-Dame-de-Paris, le chanteur canadien Daniel Lavoie est une personnalité singulière, qui assume avec plaisir ses paradoxes et ses ambiguïtés. Avant sa rentrée à Montréal, il porte à la scène, à Paris, les chansons de son album Comédies humaines.

"Je suis toujours resté partagé", avoue Daniel Lavoie. Compositeur de variété commerciale et chanteur à l’oeuvre plutôt exigeante, enregistrant en français et en anglais, interprète de comédies musicales grand public et créateur à l’univers très personnel, il peut reconnaître sans honte : "J’ai toujours navigué entre deux eaux".

Vu de Paris, on peut le résumer rapidement à une chanson sublime parue en 1984, Ils s’aiment ("Ils s'aiment comme des enfants/Comme avant les menaces et les grands tourments/Et si tout doit sauter,/S'écrouler sous nos pieds/Laissons-les, laissons-les, laissons-les/Laissons-les s'aimer") et à son rôle de Frollo dans la comédie musicale Notre-Dame-de-Paris Belle et Les Cloches en trio, Florence en duo, Tu vas me détruire et Etre prêtre et aimer une femme en solo. Mais l’homme et l’artiste sont beaucoup plus complexes, riches, surprenants. Son dernier album, Comédies humaines, paru en début d’année (chez Mercury-Universal), est d’une délicatesse et d’une élégance rares dans le monde de la variété : il a bénéficié d’une entière liberté et, sur des textes de Patrice Guirao et Brice Homs, se livre à un lyrisme pudique. Après qu’il a connu toutes les gloires, ce disque a plafonné à la soixante-septième place du Top Ifop des ventes d’albums en France, non sans que Lavoie avoue y avoir exprimé quelques-unes de ses vérités les plus intimes.

Son caractère s’accommode bien de ces hauts et bas, de ces ambiguïtés de la renommée, de ces paradoxes professionnels. Le métier de chanteur? "Je n’ai même pas choisi de le faire. Je me suis fait entraîner par le courant dans ce métier-là toute ma vie". D’ailleurs, la chanson n’est pas son premier amour : il ne va pas encore à l’école qu’il chante déjà à tue-tête les grands airs du Carmen de Bizet avec sa mère. "Les dix premières années de ma vie, je n’écoutais que de l’opéra. Un jour, avec mes copains, j’ai découvert la musique country et la variété américaine : j’ai été complètement séduit par cette simplicité, ces mélodies accrocheuses".

A l’époque, il vit dans l’Ouest du Canada, dans la province du Manitoba où, au XIXe siècle, le gouvernement offrait de belles terres agricoles aux pionniers et où s’est fixée une petite communauté de langue française. Avant la fierté d’être ce qu’il est – un francophone –, il a appris la discrétion, la modestie, l’effacement. De cette situation de minoritaire (et d’une culture qu’il dit aujourd’hui "moribonde" au Manitoba), il conserve une terrible réticence devant l’exhibitionnisme de son métier. C’est de cela qu’il parle lorsqu’il évoque "les côtés que je n’aime pas" de la profession de chanteur. Et même, il mesure ses mots lorsqu’il s’agit de sa vocation: "C’est un grand bonheur pour moi de faire ce métier mais je ne vais pas en chanson comme je vais en religion".

Pourtant, il aime passionnément la scène, la rencontre avec le public, la performance. Mais il y a aussi l’écriture, les heures au piano devant un texte, le "grand plaisir d’affronter le genre d’exigence de la musique dite de variétés", les chansons données à Lara Fabian, Roch Voisine, Bruno Pelletier, Natasha Saint-Pier, Luce Duffault... Il ne s’embarrasse pas de la vanité de produire une oeuvre avec un O majuscule: "Ce genre de chose, on ne le choisit pas. Ça nous arrive si on a le talent nécessaire, si la chance nous sourit, si les dieux sont bons. Si ça arrive – et ça m’est arrivé deux ou trois fois dans ma vie – c’est très agréable, mais il faut savoir que c’est éphémère". Il aime la mécanique de la variété commerciale comme celle du maître Léo Ferré, même s’il admet qu’"il y a des moments où c’est vraiment un boulot". Evidemment, il n’est pas forcément fier de toutes les chansons qu’il a écrites, mais "il y en a que j’aurais volontiers chantées moi-même".

Voilà pourquoi, au fond, il a tant aimé travailler avec Patrice Guirao et Brice Homs pour son dernier album. Volontiers impressionnistes, à la fois limpides et pesant leurs mots, les deux auteurs, qui se partagent à égalité les quatorze titres de Comédies humaines, écrivant des histoires dont Lavoie dit : "j’arrive à leur donner une vie, même si ce n’est pas nécessairement la mienne". La sienne, il en parle peu. Toujours discret...

Auditorium Saint-Germain-des-Prés à Paris, du 4 au 16 octobre