NUIT BLANCHE À PARIS

De plus en plus d’insomniaques dans la capitale française. Pour cette troisième édition de la Nuit Blanche ce 2 octobre, la fréquentation est en hausse, le cap du million de visiteurs allègrement franchi pour un budget public de 650.000 euros. Du samedi 21h au dimanche 8h du matin, 300 artistes ont investi une centaine de lieux avec comme unique obligation : célébrer la création contemporaine. Voyage au bout de cette nuit d’expériences envoûtantes ou déroutantes.

Noir de monde

De plus en plus d’insomniaques dans la capitale française. Pour cette troisième édition de la Nuit Blanche ce 2 octobre, la fréquentation est en hausse, le cap du million de visiteurs allègrement franchi pour un budget public de 650.000 euros. Du samedi 21h au dimanche 8h du matin, 300 artistes ont investi une centaine de lieux avec comme unique obligation : célébrer la création contemporaine. Voyage au bout de cette nuit d’expériences envoûtantes ou déroutantes.

23h: Danseurs de surfaces #3, Place de la Bataille de Stalingrad
Les gyrophares donnent le départ. Des nappes de musiques synthétiques démarrent au même moment que les moteurs des trois camionnettes vertes habituellement dévolues au nettoyage des rues. Les machines se mettent en branle, se dépassent, s’entrecroisent. Les sons se durcissent, le rythme se saccade, plus collage de séquences que réelle composition. Les trois véhicules encerclent un couple de danseur. L’affrontement dure tout au plus une dizaine de minutes et se termine en réconciliation, les chauffeurs délaissant leurs engins pour rejoindre le duo. Anatoli Vlassov, chorégraphe d’origine russe, travaille depuis plusieurs mois avec les services de la propreté de la ville. Jacky, Dominique et Emmanuel, tous trois éboueurs n’ont pas hésité une seconde pour participer à cette chorégraphie. Ils sont fiers de montrer un autre visage de leur profession.
Dans le public, malgré les applaudissements, c’est la perplexité qui domine. Quelques-uns se déclarent emballés, la majorité a bien du mal à formuler un avis, d’autres attendent, se demandant si le spectacle est vraiment terminé.

23h45: Bal perdu, jardin des Halles
Les environs du Forum des Halles débordent de monde. Pire qu’un jour de solde. Pourtant l’endroit reste agréable. Des petites lumières bleutées suspendues donnent au jardin une touche irréelle, des flocons de neige artificielle volent un peu partout. Toute la nuit, chanteurs et musiciens vont se relayer pour interpréter les grands succès de la chanson. Massé devant la scène, le public reprend en choeur La vie en rose d’Edith Piaf. Le groupe enchaîne ensuite sur un standard des fêtes populaires, la Chica de Cuba de Philippe Lavil. Celle qui "ne danse que la salsa". Commentaire amusé d’un quinquagénaire jovial : "Elle a bien de la chance parce que nous, on ne peut même pas bouger!"

00h45: Dernier RER pour le Sud.
Malgré les efforts de la municipalité en matière de transport en commun, ce train de banlieue est littéralement assailli. Vingt minutes de trajet complètement compressés les uns contre les autres, une belle expérience de contact un peu trop chaleureuse. Beaucoup n’ont pas pu entrer, quelques-uns ont du renoncer à sortir à leur station habituelle. Epique!

01h05: Cité Sonic, Cité Internationale universitaire de Paris
Outre l’aspect de création contemporaine, la Nuit Blanche est aussi l’occasion de découvrir le patrimoine de Paris. Les étudiants de la Cité Internationale jouissent d’un cadre de travail très classieux, bâtiments de caractères majestueux et jardin des plus agréable. Pour l’heure, le volume sonore trouble certainement les habitués des lieux. La plupart des agents de sécurités ont des bouchons de cotons dans les oreilles. Hou Hanru, co-directeur artistique de cette édition mais surtout initiateur de la Cité sonic le revendique: "C’est une expérience je crois assez radicale pour le public. Il ne s’agit pas de musique électronique, de danse mais vraiment de son pur. Nous avons par exemple le collectif Signal Sever qui utilise des antennes pour capter des signaux de satellites et les transformer en son et en image pour toute la nuit". Sur l’écran, des images urbaines se mêlent à des références sur la Turquie ou des captures vidéos provenant de l’espace. Ces bidouillages numériques quoique rythmés laisse les gens assez statiques. Romain, un spectateur, y trouve son compte: "Les images collent bien avec la musique, ça bouge pas beaucoup mais ce n’est pas sensé être la Technoparade non plus".

02h45 : Les lumières du son, Place de la Bourse
Une odeur insistante de friture et de mouton grillé, un parcours jonché de bouteilles en verre, la place devant le Palais Brongniart n’avait pas subi pareil traitement depuis longtemps. L’ambiance est pourtant à la contemplation. Des couples enlacés rêvassent, absorbés par l’écran suspendu devant le bâtiment abritant la Bourse française. Un fondu enchaîné de photos en tout genre y est projeté : paysages exotiques, scènes de plage, vaches dans les champs... Les Français de Radiomentale accompagnent la projection d’un mix tout en langueur. Des couches de nappes synthétiques, quelques dialogues de films, habilement mêlés de rythmes trip hop et techno calme. Jean-Yves Leloup et Eric Pajot sont les pionniers du ciné-mix : associer l’image et le son afin de titiller l’imagination du spectateur. "Ce que nous faisons est clairement décoratif, contemplatif, avoue sans problème Eric, Notre travail n’est pas narratif, c’est quelque chose qui est là, qui habille l’espace. Nous suggérons aux gens sans forcément montrer, sans donner trop d’informations qui vont couper l’imaginaire. On ne dévoile mais pas trop c’est de l’érotisme". Le duo formé en 1992 improvise à merveille, l’effet hypnotique est indéniable, on est happé sans difficulté.

4h30 : Métropolis, piscine Chateau Landon
Nuit blanche ou pas, la douche obligatoire avant d’entrer dans l’eau chlorée reste toujours un passage redoutable. Ensuite ce n’est que du bonheur. Des luminaires orangés surplombent le bassin, conférant d’emblée une ambiance chaleureuse au lieu. D’autant qu’habituellement la sonorisation d’un tel endroit relève du casse tête. Ici, pas de mal aux oreilles. Le Dirty Sound System propose un kaléidoscope de titres enjoués avec une grosse influence techno et des incursions fréquentes vers le rock ou la new wave. 3.800 visiteurs sont venus piquer une tête et malgré l’heure, plus de deux cents personnes en profitent encore. Comme souvent dans ce genre d’endroit, ça papote sur le bord du bassin tandis que les obstinés alignent les longueurs. Régulièrement, les plus excités se lancent dans des séances improvisées d’aquagym acrobatique, des sessions qui finissent invariablement en bataille d’eau. La fatigue aidant, la planche devient ensuite la position la plus courue. Les yeux perdus en l’air, ondulant aux vibrations des basses. Une belle façon d’attendre le lever du soleil... et le premier métro.