Youssou N'Dour à l'IMA

Youssou N'Dour est en concert privé à l’Institut du Monde Arabe à Paris ce 6 octobre. En choisissant de faire halte dans ce lieu, le griot planétaire donne pleinement sens à son dernier opus, Egypte. L’IMA est devenu depuis sa création à la fin des années 1980 l’une des vitrines les plus reconnues du monde arabo-musulman en terre occidentale.

Concert de paix entre Orient, Afrique et Occident

Youssou N'Dour est en concert privé à l’Institut du Monde Arabe à Paris ce 6 octobre. En choisissant de faire halte dans ce lieu, le griot planétaire donne pleinement sens à son dernier opus, Egypte. L’IMA est devenu depuis sa création à la fin des années 1980 l’une des vitrines les plus reconnues du monde arabo-musulman en terre occidentale.

L’IMA a pour mission de défendre à Paris la culture arabo-musulmane, et les échanges entre les peuples. Y communier avec son public a donc valeur de symbole pour Youssou N'Dour. Egypte, son dernier album se veut une réponse à ceux qui ne voient plus que barbarie en l’Orient, suite notamment aux événements du 11 septembre 2001. Face à une actualité internationale tendue, Youssou N'Dour rappelle à tous l’utopie d’une religion, porteuse de tolérance et de respect envers l’autre. 

Son album nous dévoile un visage peu familier, aussi bien au public arabe qu’au public occidental, celui de l’islam africain. A l’heure où les uns et les autres théorisent sans fin sur le choc des civilisations, en réduisant abusivement le monde en deux blocs monolithes, l'artiste sénégalais donne voix au Continent noir, en démontrant que la rencontre, souvent violente, entre des "mondes" éloignés peut donner naissance malgré tout à un véritable dialogue entre les peuples. Qui ne sait aujourd’hui ce que le monde arabe avait fait de l’Afrique, bien avant l’Europe coloniale? Une réserve d’esclaves et de richesses diverses et variées. Les milles et une nuit sont encore là pour en témoigner.

L’album se nomme Egypte, mais porte le nom d’Allah, écrit en caractères arabes et dorés, sur la pochette. Par cet hommage appuyé à la religion musulmane, Youssou N'Dour prouve que les Arabes n’ont pas laissé que des traces indignes sur leur passage dans "son" monde. L’islam dont il parle, en hommage également au soufisme de l’Afrique de l’Ouest, principalement incarné ici par sa sainteté El Hadj Ahmadou Bamba, rime avec amour et solidarité, passion et dépassement de soi, ouverture et conscience. Qui aurait imaginé que l’Afrique, qui n’existe que difficilement sur la scène internationale, viendrait, à travers la voix d’un griot, faire la leçon, afin de raviver le dialogue interrompu entre l’Orient et l’Occident ?

D’aucuns se souviendront que l’un des gestes les plus relatés de l’épopée du prophète Muhammad a été le jour où il a affranchi l’esclave noir Bilal, devenu le premier muezzin de l’islam conquérant par la suite. Youssou N'Dour serait-il devenu le Bilal de la post-modernité? Sur ce coup, Youssou peut jouer au plus fier, tout comme il peut jouer au plus courageux. Le plus gros de son public world est occidental, en termes de ventes. Il aurait pu le perdre en partie, à l’heure où l’on flippe sur les ombres d’Al Quaïda dans les capitales européennes. Parfois, il n’en faut pas beaucoup pour passer au stade de zélateur du terrorisme religieux chez certains. Youssou a su convaincre, sans trop forcer sur le trait.

Quant au public oriental, bien que Youssou ait déjà été aperçu à l’ombre des palais de la péninsule arabique, un artiste noir africain devenant populaire dans ce monde-là n’est pas chose habituelle. C’est même très rare, quel que soit le talent ou le génie. Peut-être qu’en faisant appel à l’Egyptien Fathy Salamah, aux grandes orchestrations qui ont fait du Caire un bastion du chant arabe, le Sénégalais a pu ruser. Au-delà de son propre plaisir à entremêler les sons arabes de rythmiques mbalax et d’influences planétaires, au-delà des mariages instrumentaux inattendus, violons, percussions, oud et autres joyaux arabes sont conviés dans cette aventure, aux côtés de la contrebasse, du tabla, et des percussions sénégalaises, il y a aussi le désir de surprendre ce public, réputé difficile.

Paradoxalement, Youssou N'Dour pour une fois ne va pas à avoir à supporter le discours éculé d’une certaine critique musicale européenne, qui aime à parler de traditions africaines figées dans le temps, que la modernité occidentale permet de dépoussiérer. L’Afrique et l’Orient se rencontrent dans Egypte à travers leur passé et leur présent, sans à priori aucun. Un monde se réinvente dans ce nouveau challenge signé Youssou N'Dour. Et là aussi, joue le symbole. C’est au Caire, ville-charnière écartelée entre la volonté des hommes d’Arabie et le Nil à moitié réécrit des "nègres d’Afrique", que l’enregistrement prit forme. On ne peut oublier que Youssou N'Dour vient du pays de Cheikh Anta Diop, celui, qui au Caire en 1974, apprit au monde entier que l’Afrique fut le berceau de l’humanité, grâce notamment à l’Egypte ancienne, à l’Egypte négro-africaine. De même, on peut se dire que c’est là aussi le pays de Nasser, l’un des plus grands défenseurs de la cause arabe. On dit que justement qu’il fut un grand mélomane, obligeant le pays dans son ensemble à écouter Oum Koulthoum une fois par semaine au moins. Il trouvait que son chant légendaire avait valeur de discours, un discours unificateur des masses. Youssou N'Dour, lui, ne cache pas son bonheur à retrouver avec ce projet les mélodies, qui, jadis, firent le succès de Koulthoum. Que pourrait-on dire de plus ?

Youssou N'Dour Egypte (WEA) 2004
En concert le 7 octobre au Grand Rex de Paris.