Brassens en images

Elle est à toi cette chanson : en trois DVD et cinq heures trente d’images, Philips-Universal publie une magnifique moisson de documents télévisés ou cinématographiques sur Georges Brassens, dont son unique récital filmé.

Sortie d'un récital en DVD

Elle est à toi cette chanson : en trois DVD et cinq heures trente d’images, Philips-Universal publie une magnifique moisson de documents télévisés ou cinématographiques sur Georges Brassens, dont son unique récital filmé.

Pendant quelques lustres, c’est la passion des maisons de disques pour les intégrales qui a permis de révéler les trésors cachés de la chanson française. Premiers pas de Jacques Brel au micro, publicités de Serge Gainsbourg, 78-tours oubliés de Barbara, chicanes de Brassens et de son contrebassiste Pierre Nicolas en studio : tout cela épiçait de gros coffrets de dix, douze, quinze CD. Cette année marque peut-être un changement d’époque : c’est par le DVD que les passionnés se nourrissent désormais d’inédits. Après un triple DVD Brel, l’année dernière, un double DVD consacré à Barbara le mois dernier, c’est maintenant Brassens qu’Universal – héritier du fond Philips – propose maintenant dans le nouveau format aimé des mélomanes.

Trois DVD, cinq heures et trente minutes de musique et d’images, le coffret Elle est à toi cette chanson illustre magnifiquement ce nouvel âge : les compilateurs nous rappellent que, longtemps, la télévision fut un terrain de jeu magnifique pour la chanson, que les réalisateurs de l’ORTF en France ou de la RTBF en Belgique savaient proposer aux artistes – et filmer – des situations stimulantes. Oh, bien sûr, parmi la cinquantaine de chansons présentées ici, il faut parfois supporter le ton parfois insupportable de suffisance ou de condescendance des animateurs, quelques cadrages qui mettent manifestement mal à l’aise Brassens, des décors hideux (comme pour Le Petit Cheval chanté à l’émission de Noël 1978 de 30 millions d’amis)... Mais il y a le Graal des passionnés, ces inédits, à commencer par Le Bout du coeur, version primitive d’Une jolie fleur, chanté dans l’émission Télé Vichy en 1954 et qui soulève une frustration inattendue: l’animateur fait référence à un passage antérieur de Brassens à la télévision !Egalement, une jolie version de Fleur bleue de Charles Trenet, avec un bel accompagnement swing de Brassens à la guitare.

Le coffret propose aussi des raretés que Brassens n’a, à l’époque, jamais chantées sur scène, comme L’Enterrement de Verlaine, de Paul Fort, sur la musique de Marche nuptiale, ou Le Temps passé, écrite pour Juliette Gréco mais encore inconnue de ses spectateurs de 1961. Egalement quelques interviews dans lesquelles le chanteur est plus ou moins à l’aise, plus ou moins patient devant des questions parfois inlassablement redondantes – Brassens et les gros mots, Brassens en "ours", Brassens et le succès...

En même temps, on révise son histoire de la télévision : il se confirme que les interviews de Cinq colonnes à la une sont excellentes, Guy Lux se prend le fil de micro dans la chaise de Brassens en le présentant sur scène pour Palmarès de la chanson en 1967, les trucages des premières années de la vidéo ont quelque chose de vraiment désuet (les musiciens volants de Saturne ou le dédoublement de Brassens dans Marinette en 1979)...

Mais le sommet de l’ensemble est sans doute l’unique concert filmé de Georges Brassens, à Bobino en 1972 : seize chansons immortelles, avec les conciliabules du chanteur et de son fidèle Pierre Nicolas pendant les applaudissements, Raymond Devos et René Fallet ivres de bonheur dans la foule, et une surprise de taille : Les Copains d’abord interprété avec l’orchestre de Bobino dans des arrangements plutôt jazz qui réjouissent manifestement le chanteur.

Le plaisir est évidemment immense. Jusqu’à présent, peu d’éléments d’archives étaient disponibles : guère plus qu’une VHS, parue en 1991 dans la série Les géants du music-hall (Polygram Vidéo-INA). Et la qualité de la restauration du son et de l’image tranche radicalement avec les défauts rédhibitoires de l’antédiluvienne vidéo. Mais peut-on encore espérer découvrir d’autres trésors ? Alors qu’une maison comme Philips a très peu fait disparaître de ses archives, il est à craindre que la télévision, malgré les efforts et l’efficacité de l’INA, n’ait pas toujours bien conservé ses émissions. Question d’économie et de volatilité, question aussi de technique, puisque les émissions en direct, pendant des années, n’ont pas été enregistrées. En outre, la protection du droit d’auteur est devenu un domaine tellement touffu qu’il suffit parfois qu’un seul intervenant (réalisateur de l’émission, musicien d’accompagnement voire spectateur présent sur un plateau) refuse la reproduction d’un document pour qu'il reste éternellement au coffre. Ainsi, on ne peut que regretter l’absence de tout passage de Georges Brassens dans l’émission Le Grand Echiquier – et il en est de légendaires...

Georges Brassens, Elle est à toi cette chanson : trois DVD (Universal), 2004.
A noter aussi un bel éclairage sur l’homme et sa spiritualité dans le beau livre Brassens le mécréant de Dieu de Jean-Claude Lamy qui vient de paraître (chez Albin Michel).