Jarre à Pékin

Evénement majeur de l’ouverture de l’année de la France en Chine, ce concert unique donné le 10 octobre au cœur de la Cité interdite a surpris par son mélange des genres et des techniques. Reportage.

Un grand show pour l'ouverture de l'année de la France en Chine

Evénement majeur de l’ouverture de l’année de la France en Chine, ce concert unique donné le 10 octobre au cœur de la Cité interdite a surpris par son mélange des genres et des techniques. Reportage.

Lors de son premier concert en Chine en 1981, Jean-Michel Jarre (JMJ) était le premier artiste occidental à se produire devant le public chinois depuis la prise du pouvoir par les communistes. Il avait été aussi surpris que son public. "J’étais un martien descendu sur la planète Chine, les gens sont restés les yeux écarquillés pendant tout le concert". Vingt-trois ans après, son nouveau concert dans la Cité interdite a donné la même impression: public figé, fasciné, essayant de comprendre ce qui se passe. Le mélange des genres est total: d’énormes cônes, cylindres et sphères gonflables au beau milieu de l’antique palais impérial, saint des saints de l’Empire du Milieu. Sur ces structures, des images projetées du métro, de l’Opéra Garnier, du Moulin Rouge et autres symboles parisiens. Car c’est l’inauguration de l’Année de la France en Chine, et il s’agit bien de faire-valoir l’image de l’hexagone. Un visuel somme toute assez sobre, car JMJ privilégie désormais la dimension sonore même dans ses concerts.

Pendant deux heures, il joue les morceaux de son nouvel album Aero, mélangés avec des passages de musique classique et traditionnelle chinoise. Car JMJ n’est pas venu seul sur scène: "J’ai voulu que ce concert soit avant tout une collaboration totale avec les Chinois, aussi bien musiciens que graphistes". Résultat, plus de 330 musiciens chinois de haut niveau jouent avec lui, dont l’orchestre symphonique de Pékin et l’orchestre national de musique traditionnelle. Ainsi que Patrick Rondat à la guitare et Francis Rimbert aux claviers. Beaucoup de reprises, comme Oxygene, Equinoxe ou encore Souvenirs de Chine. Et des créations, JMJ répondant avec ses claviers à la musique traditionnelle chinoise. Si les décors et les effets spéciaux sont un peu en retrait, pour ne pas dire décevants, la véritable innovation est au niveau sonore. C’est le premier concert au monde entièrement joué en dolby "surround" 5.1, un effet tridimensionnel jusque-là réservé au cinéma.

On a l’impression d’être immergé dans la musique : "c’est la même différence qu’entre regarder une carte postale et être au milieu du paysage" explique JMJ. L’effet le plus cocasse du concert, c’est quand le son d’un hélicoptère passe au-dessus du public, qui se retourne pour chercher l’appareil dans les airs. Avec le 5.1, impossible de ne pas être plongé dans la musique. Le public de 16.000 personnes est trié sur le volet, et les forces de l’ordre nombreuses repoussent plusieurs fois les spectateurs qui tentent de s’approcher à moins de trente mètres de la scène. Même le plus célèbre rocker chinois Cui Jian, que JMJ a invité, est gentiment éconduit car il y a quinze ans, en 1989, il a chanté sur la place Tienanmen avec les étudiants. Seul un petit groupe de fans venus exprès d’Europe peut suivre le concert dans la fosse. Comme Bertrand, français qui va à tous les shows de Jarre depuis 1990. "Mes économies y passent, mais c’est ma seule passion". Par rapport à d’autres concerts, Bertrand trouve celui-ci plus solennel, et surtout beaucoup plus axé sur la France. "On voit qu’il y a un peu de politique derrière. Mais j’admire la prouesse de mélanger musique chinoise et électronique". Pour Li Xin, jeune étudiante en français de l’Institut des langues de Pékin, "Monsieur Jarre est très romantique, très français, et très beau, on dirait qu’il a moins de trente ans. Je ne comprends pas cette musique, mais c’est très original, je vais acheter ses albums pour essayer de comprendre".

Problèmes techniques

Il aura fallu des mois de négociations, et encore des mois de préparation pour ce spectacle immense, d’un coût de quatre millions d’euros. La porte Tienanmen a même été fermée au public pendant dix jours pour l’installation, et ses fontaines illuminées de bleu-blanc-rouge. Du jamais vu en Chine. De nombreux problèmes ont agrémenté la préparation de ce concert: voltage trop fort (420 volts au lieu de 380), équipements incompatibles avec les formats chinois, et contraintes de sécurité telles que la scénographie a dû être entièrement revue pour ne pas toucher aux bâtiments anciens. Sans parler des problèmes linguistiques et techniques entre la centaine de techniciens français et autant de techniciens chinois qui n’avaient jamais monté une scène comme ça. Comme si il n’y avait pas assez de stress, l’avant-veille du concert, Anne Parillaud la compagne de JMJ a reçu une poutrelle sur la tête l’obligeant à être brièvement hospitalisée. Et la veille du concert, les autorités ont fait démonter une énorme structure qu’il avait fallu des jours à construire, simplement pour prendre une photo officielle des présidents chinois et français devant un monument. Finalement, quelques instants avant l’ouverture, tout était prêt. Les 100.000 watts de hauts-parleurs et les 600 projecteurs ont fonctionné à merveille pendant deux heures de féerie musicale signée Jarre.

Retrouvailles

Pour JMJ, la Chine est bien davantage qu’une nouvelle étape. Le musicien a noué des liens avec des artistes chinois dès 1981 et depuis, il est souvent retourné sur place. A l’époque, aucun Chinois n’avait entendu parler de musique électro-acoustique. Il a offert un clavier Bontempi à l’Institut de musique de Pékin "un objet mystérieux et fantastique pour eux" se rappelle-t-il. Grâce à cet objet et à ses conseils, la première classe de musique électronique a vu le jour en Chine sous le nom de Midi school. Depuis presque cent élèves y ont suivi les cours, auréolés de la musique de JMJ qui est frappé par la capitale chinoise: "une ville où on peut entendre la conversation des gens d’un trottoir à l’autre tellement l’air est sec. Une ville où les gens emmènent leurs oiseaux de compagnie chanter dans les parcs, et se retrouvent en plein air pour former des chorales de dizaines de personnes. En Chine, il y a une culture où les gens ont un rapport direct aux sons, sans rupture avec la musique, tout à fait ce que j’essaie de faire dans mes créations".

Ecouter Jean-Michel Jarre: "La Chine s'ouvre de plus en plus..."