Un Mano Animal
Fraîchement sorti, Les Animals est certainement l’album le plus multi-facettes de Mano Solo. A la fois surprenant et dans la continuité de la carrière du chanteur, il risque de perturber les adeptes des étiquettes et des à priori.
Un nouvel album pour le chanteur à la sensibilité à fleur de peau.
Fraîchement sorti, Les Animals est certainement l’album le plus multi-facettes de Mano Solo. A la fois surprenant et dans la continuité de la carrière du chanteur, il risque de perturber les adeptes des étiquettes et des à priori.
Mano Solo à demi nu, allongé au milieu d’une horde de chiens noirs… l’illustration du huitième album du chanteur peut pourtant induire en erreur : le contenu est loin d’être aussi sombre, l’homme n’y est pas qu’un loup pour ses congénères, et l’artiste n’y mord pas en hurlant à la lune. Le virage avait déjà été bien amorcé depuis deux disques : il y avait d’abord eu Dehors (2000) au titre qui sortait le nez du nombril pour le pointer là où il fait beau. La marche (2002) suivait la même cadence, offrant un live éclairé de titres plus ou moins récents mais tous revisités avec énergie. Les animals est donc la séance de rattrapage pour ceux qui voudraient encore s’étonner du nouveau faciès de "l'ange noir de la chanson" décidément disparu. Et pourtant, Mano reste Mano, les aficionados en demeurent convaincus. Un double visage donc, à la fois familier et déstabilisant.
Au départ, une bonne partie de ces chansons était destinée à Juliette Gréco, mais les choses ne pouvant se finaliser avec la dame, Mano Solo les a gardées pour son propre compte. Il a fallu changer certains mots, éliminer quelques féminins, mais le voilà doté d’une moitié d’album plus doux et tendre qu’à son habitude. Se rajoutent aussi trois titres plus anciens et bien revigorés : Moi j’y crois jamais enregistré jusque-là, Rien est à toi qui ne figurait que sur le live sous le titre de Une petite seconde et Barbes-Clichy (sur l’album Les années sombres, 1995) dans une version Barrio Barbes méconnaissable. Il faut dire que de chanter Paris en jouant la carte de l’Amérique du sud était déjà inattendu, mais de faire de cette chanson un duo (avec Balbino Medelin) tient du miracle. Mano rompt avec la carte Solo, ouvre définitivement sa porte aux autres, et le difficilement envisageable d’hier est au menu d’aujourd’hui. Jusqu’aux Têtes Raides qui offrent eux aussi une participation instrumentale sur le titre Botzaris.
Un cocktail donc où encore plus loin que Dehors, les frontières sont repoussées vers des tempos et des colorations d’ailleurs. Le titi reste fidèle à Paris mais fait de larges crochets par le Mexique, entraîne sur un rythme ska avant de repartir chez les manouches, dans la péninsule ibérique ou encore en Afrique… Paname est toujours là, entre deux pavés ou dans un graffiti, mais les textes soignés comme souvent tendent leurs phrases vers l’amour et la vie. Et même lorsqu’il s’agit de pousser son chant des partisans (Du vent), Mano gronde après le Medef et Sarkozy en terminant encore sur du positif : "Un soir dans le vent/ je rejoindrai les partisans/ de ceux qui ont de l’amour pour la vie". Rien ne semble donc résister à son énergie et les sentiments se voient consacrés au point d’avoir une chanson qui leur soit entièrement dédiée (Sentiments) ou d’en être contagieux comme dans l’hymne à l’amour du Moi j’y crois : "Paraît que l’amour ça t’aide quand t’es triste/ y paraît même que ça rend complice/ il paraît que ça fait des trucs profonds/ qu’on efface pas d’un coup de torchon/ …/ et moi j’y crois quand je te vois en face de moi…"
Même la voix est plus posée, mature, solide. Le vibrato est toujours là, mais plus maîtrisé, moins écorché, moins arraché. Il n’y a guère que sur les chansons africanisées qu’elle se colle le moins bien. Et si d’aucun grince encore les dents de ne plus y voir le Vive la révolution qui faisait sa signature, de ne plus l’entendre cracher sa rage ou faire la peau à la mort, cela ne concerne qu’eux. Mano Solo est pourtant encore bien présent dans ses lignes, ses ironies, ses métaphores et sa gouaille. C’est le même, mais plus loin. "Je n’ai plus ce sentiment si violent, si violent qui malaxait mon présent/…/ je sais qui je suis hier comme aujourd’hui dans la fureur ou sans bruit: je ne suis l’ombre de personne". (Savane)
Il reste tout de même que ce nouvel album peut se révéler déstabilisant aux premières écoutes, plus évident mais moins enivrant. Il faut du temps pour y entrer complètement, y adhérer… Somme toute, Les animals est à apprivoiser.
Mano Solo Les animals (Warner Music france) 2004