Des poèmes en musique

Riche actualité poético-chansonnière : voici exhumés des enregistrements inédits de Léo Ferré travaillant à ses adaptations de Verlaine et Rimbaud, en même temps que Georges Chelon publie ses Fleurs du Mal et que Nicolas Reggiani revient sur l’oeuvre du chanteur au drapeau noir.

Ferré, Chelon et Nicolas Reggiani

Riche actualité poético-chansonnière : voici exhumés des enregistrements inédits de Léo Ferré travaillant à ses adaptations de Verlaine et Rimbaud, en même temps que Georges Chelon publie ses Fleurs du Mal et que Nicolas Reggiani revient sur l’oeuvre du chanteur au drapeau noir.

L’amour de Léo Ferré pour les poètes a donné à la chanson française quelques-uns de ses monuments. Et la piété de son fils Mathieu pour son œuvre donne vie ces jours-ci à un passionnant double-CD, Maudits soient-ils, consacré à Rimbaud et Verlaine. Constitué d’enregistrements inédits retrouvés dans les caisses de bandes de travail du chanteur, cet album publié par la maison d’édition familiale, La Mémoire et la Mer, propose vingt et un poèmes de Rimbaud et vingt-quatre de Verlaine chantés a cappella ou avec accompagnement de piano: une bonne part viennent des travaux préparatoires à l’album Léo chante Verlaine et Rimbaud, paru en 1964. Certains sont donc depuis longtemps connus dans leurs versions définitives mais dix-sept sont publiés pour la première fois. "Il y a aussi des enregistrements plus récents, explique Mathieu Ferré, du début des années 80, quand il pensait refaire quelque chose sur Rimbaud, à l’époque d’On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans - Le Dormeur du val, Voyelles..." Et puis quelques documents, comme Le Sonnet du trou du cul, récupéré sur une vidéo pirate du spectacle donné à la Grande Halle de La Villette, pour le centenaire la naissance de Rimbaud en 1991, au cours duquel Ferré a chanté On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans, Le Bateau ivre et "Le Sonnet du trois petits points" comme il l’annonce.

Dans ces formes parfois austères, l’auditeur a une vision unique du processus de création chez Léo Ferré, avec des versions avec voix seule, avec piano - et parfois avec quinte de toux ou manifestes trous de mémoire. "On ne peut savoir avec certitude quelle était sa méthode, confie Mathieu Ferré, mais il semble qu’il travaillait d’abord la mélodie du chant seul, qu’il enregistrait à cappella, puis l’accompagnement au piano. Parfois, d’ailleurs, son accompagnement au piano semble donner des indications qui ont été suivies par son orchestrateur, Jean-Michel Defaye". Pour éviter les doublons et alléger l’écoute des CD, dix-huit autres versions, au piano ou a cappella, sont disponibles en écoute ou au téléchargement sur le site www.leo-ferre.com.

Grand orfèvre de l’adaptation de textes littéraires, Ferré avait la claire intention de "mettre la poésie dans le juke-box"et son fils prévoit aussi, "dans les trois ans", de sortir deux nouveaux disques puisés dans les maquettes enregistrées par Léo: dix-huit adaptations de Baudelaire inconnues et neuf chansons tirées d’Apollinaire. "Après, on aura pratiquement terminé le travail. Il ne restera plus comme parution importante qu’un texte de soixante minutes, Je parle à n’importe qui. Et puis des concerts, des petites choses à droite, à gauche. Mais le plus gros aura été fait". Après l’énorme travail d’édition et réédition de La Mémoire et la Mer, il ne manquera plus, en effet, qu’à exhumer le légendaire enregistrement du Chien de Léo Ferré, enregistré à New York en 1969 avec John McLaughlin (qui, par un amusant hasard, habite à Monaco dans l’immeuble où sont installés les bureaux de Mathieu Ferré), Billy Cobham et Miroslav Vitous. Mais, pour l’instant, Barclay-Universal, propriétaire de cette session, n’a pas manifesté l’intention de la publier.

Chelon et Nicolas Reggiani

Dans le même temps, Georges Chelon publie un double CD d’adaptations de poèmes des Fleurs du Mal. Les amoureux de Charles Baudelaire compareront ses versions avec celles de certains textes - Une charogne, Le Vin de l’assassin, L’Albatros, Les Bijoux, A une passante, Spleen LXXVIII - que Léo Ferré avait enregistrés en 1967 pour son album Les Poètes, vol. 2, Baudelaire. Chez Ferré, l’orchestre dirigé par Jean-Michel Defaye comme l’interprétation du chanteur étaient moirés de références, d’émotions, d’exégèses, de plaisirs lettrés. Habitué des grands vents et des arômes forts, Léo mettait dans Baudelaire tous les fracas des querelles des anciens et des modernes, des artistes et des censeurs. Chez Chelon, Les Fleurs du Mal sont plus intime. Son Baudelaire, c’est un petit volume glissé dans la poche et fréquenté souvent, des soirées passées à partager les mots à la guitare. Une vision qu’on pourrait dire folk - au sens américain -, les poèmes se glissant dans le quotidien et sa simplicité. Ce sont miniatures, petites vignettes, guitares conviviales et flûtes légères, un des plus grands poètes français débarbouillé des majuscules de la postérité, dans une proximité peut-être inédite.

Après avoir publié en 2001 un intéressant disque consacré à Jacques Prévert, Nicolas Reggiani aborde quant à lui, à son tour, l’œuvre de Léo Ferré. L’entreprise bénéficie du parrainage le plus incontestable, puisque publiée par La Mémoire et la Mer. En duo avec le pianiste de jazz Giovanni Mirabassi, sa lecture de grands classiques (Vingt ans, L’Age d’or) et de quelques raretés (La Mauvaise graine, avec une allusion à notre actualité politique) est d’une orthodoxie confondante, et même parfois un peu maladroite comme lorsqu’il aligne les trois Aragon canoniques, Tu n’en reviendras pas, Est-ce ainsi que les hommes vivent, L’Affiche rouge. Si l’interprétation de Nicolas Reggiani manque parfois de corps et de singularité, on est vite charmé par le travail du pianiste, qui apporte une belle démonstration, au-delà de leur splendeur mélodique, de la richesse harmonique des chansons de Ferré - un beau matériau pour les musiciens de jazz.

Léo Ferré: Maudits soient-ils!, 2 CD La Mémoire et la Mer-Harmonia Mundi
Georges Chelon: Georges Chelon chante «Les Fleurs du Mal», 2 CD EPM-Universal
Nicolas Reggiani & Giovanni Mirabassi: Léo en toute liberté, 1 CD La Mémoire et la Mer-Harmonia Mundi