Bikialo sur la route de Cabrel
Sous les feux de la rampe, il y a Francis Cabrel. Derrière le chanteur, qui commence ces jours-ci une série de concerts au Casino de Paris, le fidèle pianiste Gérard Bikialo tient une place importante dans le dispositif artistique. Rencontre avec un homme tranquille qui se sent bien derrière son piano, loin de la lumière des sunlights.
Interview du pianiste de Francis Cabrel
Sous les feux de la rampe, il y a Francis Cabrel. Derrière le chanteur, qui commence ces jours-ci une série de concerts au Casino de Paris, le fidèle pianiste Gérard Bikialo tient une place importante dans le dispositif artistique. Rencontre avec un homme tranquille qui se sent bien derrière son piano, loin de la lumière des sunlights.
Il est l’homme de tous les claviers et le réalisateur des derniers albums. Mais n’allez pas le lui siffler sous le nez, sa modestie vous en voudrait. Timide et humble, Gérard Bikialo a la gentillesse des gens qui ont besoin d’avoir confiance et son regard s’excuse continuellement en s’échappant vers ailleurs lorsqu’il parle de lui. Les dates ne sont pas son fort non plus, et même si la chronologie de son parcours ne lui échappe pas, il a plutôt tendance à parler des rencontres et des personnes importantes que de son rôle auprès d’elles.
Un père musicien a permis aux instruments d’être présents un peu partout dans la maison de son enfance. Il apprend l’accordéon et le saxophone avant de se tourner définitivement vers le piano et de fréquenter les conservatoires "J’ai aussi fait des études de mathématiques et de psychologie mais j’avais un problème avec les étudiants, j’étais totalement isolé. Je ne leur ressemblais en rien et n’étais pas très à l’aise. Dès que je pouvais retrouver des musiciens je me sentais mieux." Alors les groupes s’enchaînent et Gérard est encore loin d’imaginer ce qui va le faire passer au stade professionnel. Un batteur qu’il fréquente lui apprend que Christian Vander et le groupe Magma (alors mythique pour tous) cherchent un pianiste et lui demandent de passer l’audition. Gérard a environ 23 ans et rejoint ainsi ce dont il n’avait osé rêver. "Je ne comprenais même pas pourquoi ils m’avaient choisi. J’ai eu très peur mais dès les premières mesures, je me suis senti bien musicalement. Humainement c’était plus difficile, j’étais impressionné, je ne savais jamais où me mettre, je pensais n’avoir rien à faire avec des mecs comme ça. Il a fallu un temps avant de m’adapter, de prendre confiance en moi. J’ai même voulu quitter le groupe et ils m’ont retenu. Je suis resté et le gros travail a commencé. Concerts, répétitions, disques…"
Bikialo finit tout de même par quitter Magma au bout de deux ans avec des envies de blues et de rock "Je suis resté assez longtemps sans travail, le fait d’avoir appartenu à un groupe aussi fort m’avait collé une étiquette. Cela voulait dire que j’avais un certain niveau certes, mais aussi que j’étais dans un genre musical marginal". C’est à travers sa rencontre avec Denys Lable (guitariste, plus tard fidèle accompagnateur de Francis Cabrel) que le virage va enfin pouvoir se prendre. L’homme est entre autres le chef d’orchestre de Julien Clerc et ce dernier veut s’entourer d’une nouvelle équipe. Gérard Bikialo l’intègre donc. Et comme travailler pour le numéro un de l’époque attire les sollicitations, le reste s’enchaîne très vite.
Nombre de chanteurs français (Michel Berger, France Gall, Capdevielle, Duteil…) appelle le pianiste et petit à petit, il enfile une autre casquette, celle de réalisateur d’album. "J’ai appris au fur et à mesure cet autre métier. Je ne sais pas pourquoi d’ailleurs on me filait toujours un peu les responsabilités. J’arrivais dans des séances et s’il manquait une personne pour organiser, c’est sur moi que ça retombait. C’est difficile d’avoir à diriger des gens, ce n’est pas dans ma nature, j’aime bien quand je suis tranquillement derrière mon piano".
La rencontre avec Francis Cabrel se fait en 1980 pour l’album Fragile. Bikialo pose ses accords de pianos puis signe des arrangements cordes sur les disques suivants. Les choses se précisent entre les deux hommes en 1985 pour l’album Photos de voyages. Les musiciens changent, Bernard Paganotti (un ancien de Magma également) et Denys Lable viennent d’arriver. "Je ne sais pas si c’est dû à cela mais on me demandait à nouveau d’avoir une casquette de responsable, de m’occuper un peu de tout. Je me suis retrouvé investi sans que cela soit dit vraiment." Le voilà donc instrumentiste et réalisateur. Cela ne changera plus jusqu’à aujourd’hui. Sur les tournées, le noyau dur des musiciens reste également inchangé depuis lors.
Cabrel team
En ce moment donc, la famille est à nouveau réunie"Francis a la force d’un groupe en fait. Au bout de tant d'années de route ensemble, il y a vraiment un son qui se dégage. C’est confortable mais cela peut être gênant aussi, heureusement que les musiciens présents sont des gens qui cherchent à progresser continuellement. Et puis rien n’est jamais acquis dans nos têtes. On ne pense pas être forcément là dans cinq ans. On ne se définit pas musicien de Cabrel. Je n’aimerais pas avoir une étiquette, d’ailleurs. Francis est très exigeant et je pense que le fait que l’on cherche à évoluer, ça lui plait. Il y a beaucoup d’interaction entre nous, on s’échange les disques que l’on écoute, que l’on aime".
Et puis cette tournée en cours est différente. L’oeil de Gérard Bikialo s’allume rien qu’en évoquant ce qui s’y passe. "C’est assez épuré et petit à petit, au sein du répertoire de Francis, on sent de la musique blues se dégager. Là, il a intégré une section de cuivres et ça amène un son nouveau. Un beau brassage est en train de se produire, j’apprends des choses nouvelles. C’est entre la soul, le blues, le ryhtm n’blues et avec les cuivres, cela apporte vraiment un truc qu’il n’y avait pas avant chez Francis. Le fait d’avoir intégré les cuivres remet tout en question. L’idée n’était pas évidente au départ parce que Francis a une musique assez soft, il fallait vraiment les traiter d’une certaine façon et les adapter. Cela n’a pas été facile mais on a réussi.On se respecte les uns les autres, il y a de la concentration et une volonté réelle de faire bien. A partir de là, chacun fait attention, quand on sort de scène on se fait des critiques. Si c’est moins bien certains soirs, on se le dit. En revanche, le plaisir ne s’émousse jamais. Le spectacle passe toujours très vite. On est toujours très content de rentrer sur scène."
Ce qu’il y a de sûr c’est que Gérard Bikialo ne troquerait pour rien au monde sa place contre celle de Francis, son ami. Les lumières ne lui conviennent guère et il ne se sent bien que caché derrière ses claviers. "Francis aussi est très timide mais moi je suis presque autiste. On a des rapports qui me conviennent bien parce que du coup ce n’est pas beaucoup dans la parole mais dans l’observation, dans le regard". Deux êtres de musique qui s’entendent si bien dans leurs silences. Allez comprendre.