Karim Ziad l'Africain
Le batteur-chanteur algérien Karim Ziad, qui fusionne jazz et musiques traditionnelles du Maghreb, vient de sortir son deuxième album Chabiba (La jeunesse) sur lequel il a invité Oumou Sangaré ainsi que le pianiste Boyan Z et le guitariste Nguyen Lê. Il est en concert ce mardi 9 novembre au Cabaret sauvage à Paris. Entretien avec un artiste novateur.
Pour une musique afro-maghrébine
Le batteur-chanteur algérien Karim Ziad, qui fusionne jazz et musiques traditionnelles du Maghreb, vient de sortir son deuxième album Chabiba (La jeunesse) sur lequel il a invité Oumou Sangaré ainsi que le pianiste Boyan Z et le guitariste Nguyen Lê. Il est en concert ce mardi 9 novembre au Cabaret sauvage à Paris. Entretien avec un artiste novateur.
RFI Musique : Avec Ifrikiya (l’Afrique en arabe), le nom de votre groupe, vous avez la volonté de faire une musique afro-maghrébine ?
Karim Ziad : Tout à fait, afin que l’on ressente bien l’Afrique et pas seulement le monde arabe. Il y a en Algérie une influence africaine. Et lorsqu’on va aux racines de notre culture, on est aussi africain. D’où Ifrikiya et mon africanité très marquée, très engagée.
Quelle musique africaine vous a influencé ?
Vous savez, l’Algérie est en Afrique, et même le raï est une musique africaine. Au Maroc aussi il y a une forte couleur africaine. Dans le sud marocain, les chants ne sont pas du tout arabe. C’est vraiment de la pentatonie, comme au Mali ou au Niger. C’est aussi valable chez nous, en Algérie. Aussi, il ne faut pas être noir pour ressentir cette africanité. Je fais vraiment la différence entre la musique arabe et la musique maghrébine. Il y a plein de gens qui disent que c’est la même chose. Or la musique arabe vient du Moyen-Orient. La musique maghrébine, elle, est un mélange de musique arabe et de musique africaine. En Algérie, il n’y a pas que le raï, et c’est ce que je veux montrer. C’est une alternative à cette musique.
Cet album est plein de surprises, plein d’invités…
Les arrangements, la musique sont très personnels. Mon premier album est plus jazz. Celui-ci est un peu plus produit. Il y a une volonté d’introduire le chant pour créer une nouvelle musique maghrébine. Pour que tous les Maghrébins se sentent impliqués. Un morceau commeKatibala est un morceau traditionnel gnawa. Il est chanté à l’algérienne toute la première moitié, à la marocaine pour la seconde partie. Que cela signifie-t-il? Qu’il y a les mêmes répertoires dans les deux pays. Si je veux faire passer des messages de ce genre, je suis obligé de chanter. Les deux gnawas, l’un algérien, l’autre marocain, ont le même répertoire et ils sont cousins. J’aime bien montrer du doigt certains passages oubliés de l’histoire.
Votre album a en partie été enregistré à Essaouira, ville où vous êtes directeur musical du fameux festival des gnawas.
On s’est retrouvé l’an passé après le festival dans une villa avec Abdelkebir Merchane et des chœurs. Toutes les voix du premier morceau y ont été enregistrées. D’autres ont été faites à Alger. Cet album est un peu le prolongement de ce que je programme pour le festival. D’ailleurs, je lui ai dédié le dernier morceau Louanges. C’est une fusion de gnawas, comme si on était sur scène en train de faire jouer ensemble des musiciens blancs et des gnawas.
Le batteur algérien que vous êtes n’est pas perdu avec ses fûts au milieu de ce mâalem.
Avant d’être un instrument philosophique, j’aborde ces peaux comme des tambours. J’écris tout d’abord, je fais les arrangements les plus précis, je les mets sur des partitions et je les donne aux musiciens pour tout faire sonner correctement. J’essaie de trouver ma propre couleur, de créer cette nouvelle musique maghrébine. Je ne crois pas qu’elle va marcher comme le raï. Mais peut-être que dans cinquante ans, on en reparlera. Et j’ai voulu la rendre plus accessible en chantant dessus, seul ou avec mes invités.
Il y a une rencontre inattendue dans cet album: celle avec Oumou Sangaré sur le titreMerhba bik …
Je l’avais invitée à Essaouira il y a deux ans. J’aime tellement cette chanteuse que c’est un rêve pour moi qu’elle accepte de chanter sur un de mes disques. J’adore un de ses morceaux. J’ai composé un titre et j’ai fusionné avec le sien. Au milieu de mon morceau, il y a une partie à elle qui intervient. Elle a écoutéet m’a dit: Ok, j’arrive. Tout comme j’aime rapprocher le peuple algérien et marocain, j’aime rapprocher les Maliens et les Algériens et ne plus faire qu’une seule culture. Pour moi, on est plus proche d’Oumou Sangaré que d’Oum Khaltoum, bien que cette dernière soit pour moi une reine.
Vous venez de présenter la semaine passée votre album à Alger. C’est une démarche militante ?
Pas militante. Je fais des constats. Par exemple sur le morceau Chabiba, je dis que notre jeunesse est malheureuse. La jeunesse africaine et européenne sont dans deux mondes différents. On est beaucoup plus triste en Algérie qu’ici, en France. Quand j’y vais, je suis surpris par leur détresse. Tout le monde à envie de partir. Pourquoi? Je dis: Vous êtes jeunes avec des cheveux gris.
Vous travaillez également avec Joe Zawinul, l’ancien clavier du groupe Weather Report. Que lui apportez-vous ?
Je viens de faire vingt dates avec lui et on va retourner ensemble l’année prochaine. J’aime bien tourner avec lui parce qu’il aime beaucoup ce que je fais. On reprend dans la dernière tournée trois titres de ce nouvel album: La ila ha ill’ Allah, Chabiba, et Louanges. Zawinul, après cinquante ans de jazz-rock a envie de trouver de nouvelles couleurs. Et moi, je peux lui apporter ce côté ethnique, maghrébin.
Karim Ziad Chabiba (Sauvage Productions/Night and Day) 2004