Pagny classique

Élevé par sa mère dans le culte de l’opéra, Florent Pagny quitte un temps le registre de la variété pour celui, réputé plus ou moins intouchable, des classiques de l’art lyrique. En reprenant Puccini et Verdi dans Baryton, l’auteur de Rester vrai fait plus preuve d’audace que d’opportunisme, et signe un album "pour le plaisir", réussissant au passage à séduire son large public.

Le chanteur français change de répertoire

Élevé par sa mère dans le culte de l’opéra, Florent Pagny quitte un temps le registre de la variété pour celui, réputé plus ou moins intouchable, des classiques de l’art lyrique. En reprenant Puccini et Verdi dans Baryton, l’auteur de Rester vrai fait plus preuve d’audace que d’opportunisme, et signe un album "pour le plaisir", réussissant au passage à séduire son large public.

Florent Pagny est un caméléon. Vocalement s’entend, puisque son organe tout terrain lui autorise quasiment toutes les fantaisies, comme l'ont montré ses albums de reprises Recréations et 2, ainsi que ses participations aux tournées des Enfoirés. D’un point de vue purement esthétique également, puisque l’artiste change d’apparence à mesure qu’il sort des disques, passant avec la même aisance du look néo-rebelle à bouc peroxydé à la panoplie d’indien cyberpunk avec dreadlocks et bottes camarguaises. Il n’y a donc a priori rien d’étonnant à le voir endosser la défroque du chanteur d’opéra pour sa nouvelle sortie – d’autant que sa carrière a déjà été ponctuée de prestigieuses piges lyriques, aux côtés de Luciano Pavarotti et au détour d’une reprise de Caruso.

Voici donc planté le décor du bien nommé Baryton. Un "concept album", aurait-on dit à d'autres époques, qui voit notre homme s’approprier Verdi et Puccini, et fricoter le temps d’un duo avec la soprano Patricia Petitbon. Une récréation. Une escapade, aussi ludique qu’anecdotique, pourrait-on même penser si Pagny ne faisait pas partie des ténors de la variété francophone. Car l’interprète protéiforme n’a pas pioché dans le répertoire classique pour jouer les fredonneurs du dimanche. Encore moins les maestros d’opérette. S’il prétend en effet s’être lancé dans l’aventure sans la moindre prétention, l’entreprise n’en est pas moins des plus sérieuses.

Passé dans ses jeunes années par le conservatoire classique de Levallois-Perret, le Pagny de Baryton ne truque ni n’escroque, et n’a techniquement pas à rougir de sa prestation: c’est même avec une aisance certaine que son timbre navigue dans l’univers bel canto, soutenu comme il se doit par un impeccable ensemble symphonique (les soixante cordes du London Session Orchestra) et des choeurs de premier ordre.

Un vieux fantasme

Outre les extraits de La Tosca et Rigoletto, Baryton compte deux compositions originales signées Calogero et Daran, et des titres empruntés à Freddy Mercury ou au West Side Story de Bernstein, réinterprétés à la mode classique. Il y aurait presque une forme d’audace de la part de l’habituel Pagny de la ménagère, champion d’une variété ouvertement populaire d’aller jouer les passeurs, de défendre le classique ou supposé tel. Non qu’il craigne de se mettre à dos les puristes, qui auront tôt fait de ranger sa tentative de vulgarisation aux côtés de celles – commercialement réussies – du violoniste André Rieu. Mais Baryton apparaît comme une sorte d’incongruité dans la discographie du chanteur et on imagine d’ailleurs mal qu’elle déclenchera des vocations chez ses fans. Ce n'est de toutes façons vraisemblablement pas pour ces derniers que les onze nouveaux titres ont été enregistrés, l’interprète de Bienvenue chez moi laissant entendre au gré des déclarations promotionnelles qu’il s’agissait pour lui de réaliser un "vieux fantasme", et surtout de rendre hommage à sa mère, responsable de son penchant pour l’opéra (l’album lui est d’ailleurs dédié).

Après le succès du multiplatiné Ailleurs Land, dans lequel notre homme, condamné récemment pour fraude fiscale*, livrait ses refrains de pauvre chanteur riche, Florent Pagny quitte donc le terrain polémique pour se faire plaisir. Un plaisir lucratif, puisque Baryton s’est rapidement offert une première place dans le classement des ventes d’albums en France. Sa posture de prince de la variété en escale lyrique peut donc bien froisser les gardiens du temple, ou ses transformations à répétition prêter à rire. Son bouc de mousquetaire et son béret vissé façon fashion sur des mèches qu’on imagine volontiers rebelles feront le bonheur des railleurs! Qu’importe. Pagny conserve intacte sa cote d’amour auprès d’un public prompt à le consacrer à chacune de ses sorties. De quoi nourrir pendant encore une bonne poignée d’albums sa "liberté de penser".

* Le chanteur a été condamné en janvier à six mois de prison avec sursis et 15.000 euros d'amende pour fraude fiscale et sera rejugé en appel le 9 décembre 2004.

Florent Pagny Baryton (Mercury/Universal) 2004