À voix basse

Les succès de Carla Bruni et Vincent Delerm en attestent : pas besoin de reprendre des grands airs d’opéra pour enregistrer de bonnes chansons. Même mezzo voce, un chanteur peut vous envoûter. La preuve en compagnie de Fabien Martin dans le rôle du jeune premier, Alexis HK avec son deuxième album très attendu, et l’ovni Philippe Poirier, guitariste saxophoniste de Kat Onoma.

Fabien Martin, Alexis HK et Philippe Poirier

Les succès de Carla Bruni et Vincent Delerm en attestent : pas besoin de reprendre des grands airs d’opéra pour enregistrer de bonnes chansons. Même mezzo voce, un chanteur peut vous envoûter. La preuve en compagnie de Fabien Martin dans le rôle du jeune premier, Alexis HK avec son deuxième album très attendu, et l’ovni Philippe Poirier, guitariste saxophoniste de Kat Onoma.

Encore un. Un de plus. Fabien Martin est trentenaire et auteur-compositeur-interprète. Rien de très original à première vue. Mais avec son premier album Ever Everest, il réussit d’emblée à planter sa griffe: des mélodies limpides qui vous tournent dans la tête et une voix écorchée doucereuse, parfois plaintive mais qui colle si bien à ces soirées Automne hiver. Un style qu’il s’est forgé, semble-t-il, depuis tout petit. Alors que sa mère lui transmet l’amour du piano, il épate ses camarades d’école en faisant passer des textes de Souchon ou Bashung pour ses propres créations. Il en profite également pour s’intéresser très sérieusement à la discographie parentale. De fil en aiguille, il découvrira Rachmaninov, Coltrane, Piazzola et, du même coup, ses limites en tant que pianiste.

Si Fabien Martin se distingue de ses collègues, c’est en grande partie grâce à sa voix. Un organe qu’il qualifie lui-même de "stéréo" avec "une corde qui part sur la gauche et l’autre sur la droite". Entre Art Mengo et Dominique A, il n’a pas son pareil pour chanter les petites désillusions et grandes tristesses. Il s’offre même un détournement intelligent d’un des plus grands succès d’Edith Piaf avec La Vie morose. Si l’ensemble s’essouffle quelque peu sur la fin, on remarquera tout de même le très Nouvelle-Orléans, Ah ! La Campagne. Une orchestration banjo clarinette pour le seul titre vraiment dansant de cet Ever Everest.

Alexis HK : fini de rigoler

Un deuxième album, ce n’est jamais facile. Alors que vous avez eu plus de vingt ans pour mûrir le premier, on ne vous laisse, en cas de succès, qu’une petite année pour peaufiner le suivant. Avec Belle Ville, sorti en 2002, Alexis HK s’était très vite fait remarquer grâce à son sens des histoires réalistico-farfelues. Sur L’Homme du moment, l’équipe est la même, Olaf Hund en tête, mais le ton fort différent avec des textes plus sages, plus graves. Une petite touche de vie en moins et on a du mal à s’intéresser à la vie du Yorkshire à sa mémère comme on avait pu vibrer sur le sort des nains volants. En référence à la pochette, on pourrait croire que l’adulte s’est finalement rendu compte que l’enfance s’était drôlement éloignée.

Rassurez-vous, on trouve tout de même quelques petits bijoux, tel ce délicieux duo Norvège avec la voix ensorceleuse de la comédienne Silje Grepp. Une ode jazzy décalée au brunch et au Père Noël. Une chanson parfaite pour débuter un dimanche de bonne humeur. Alexis HK exhume aussi avec bonheur Le Grand Pan de Georges Brassens, une chanson judicieuse qui lui colle comme une seconde peau. Sur cet album, présenté comme "de transition", cohabitent titres assez anciens (La Femme aux mille amants, Le Veuf ou Ode à la mer) et compositions plus récentes. Une transition qui aurait peut-être demandée un peu plus de temps pour s’affirmer franchement. Les morceaux Coming Out ou L’Homme du moment ne font qu’ébaucher cette nouvelle direction, avec au final un goût de trop peu.

Philippe Poirier : bien lui en a pris

Philippe Poirier ne cherche pas la facilité. Dans cet album solo, son deuxième, vous ne trouverez aucun refrain à siffloter sous la douche. Il parle le plus souvent, se laisse aller à chantonner parfois. Sa manie d’accentuer les mots en fin de phrase fait même penser à Serge Gainsbourg. Dans un style généralement assez rebutant, le guitariste-saxophoniste de Kat Onoma s’en sort à merveille. Il ne s’agit pas de poèmes déclamés mais bien de chansons où la voix, au diapason de la musique, prend des inflexions tour à tour hypnotiques et inquiétantes. Les instruments se marient ici aux machines pour un style très personnel, ni rock, ni électro.

Qu’est-ce qui m’a pris a été enregistré en trois ans avec des complices de Kat Onoma, To Rococo Rot ou encore Tarwater. Certains titres composés pour Françoiz Breut, Dani ou Zend Avesta ont été ici repris et réarrangés. Pas évident sur une aussi longue période de garder la cohérence du projet. Philippe Poirier y parvient pourtant sans peine. La preuve? La participation de Dominique A pourrait presque passer inaperçue tant sa voix se fond dans l’ensemble. Son Grand Filtre ne dépareille pas des autres titres. Le clou de cet album inspiré réside certainement dans 206 os carrés, un thème inquiétant qui sonne comme une bande originale de film noir français des années 60. Qu’est-ce qui m’a pris est un disque à l’expérimentation maîtrisée, truffé de mille et une trouvailles. Il n’est pas besoin de chanter pour composer de très belles chansons.

Fabien Martin Ever Everest (ULM/Universal) 2004
Alexis HK L’Homme du moment (Labels/Virgin) 2004
Philippe Poirier Qu’est-ce qui m’a pris (Microbe/Chronograph) 2004