Yann Tiersen et Shannon Wright
Quand le musicien brestois Yann Tiersen, internationalement connu depuis le succès du film Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, rencontre la douceur vocale de l’écorchée Shannon Wright, cela donne dix morceaux magiques, ténébreux, racés et sensuels. Dans ce disque sobrement intitulé Yann Tiersen & Shannon Wright, l’auditeur est convié à des noces de notes bien réussies. Une célébration d’un parfait mariage musical, où le violon, la guitare, le piano prennent quasiment forme humaine et composent un triumvirat uni et émouvant.
Yann Tiersen & Shannon Wright
Quand le musicien brestois Yann Tiersen, internationalement connu depuis le succès du film Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, rencontre la douceur vocale de l’écorchée Shannon Wright, cela donne dix morceaux magiques, ténébreux, racés et sensuels. Dans ce disque sobrement intitulé Yann Tiersen & Shannon Wright, l’auditeur est convié à des noces de notes bien réussies. Une célébration d’un parfait mariage musical, où le violon, la guitare, le piano prennent quasiment forme humaine et composent un triumvirat uni et émouvant.
À l’heure où les duos de voix sur base musicale stéréotypée font fureur en France, à la faveur d’un genre survendu dans les émissions de télé tristement devenues réalité, le mélange harmonieux d’univers pourtant éloignés trouve avec cet album son illustration parfaite. Dans un premier temps, le constat est radical, les deux artistes semblent s’être trouvés les yeux fermés, comme s’ils avaient préparé leur rencontre pendant des années en solo, chatouillant cordes et piano précieux, kitchen music et instruments diatoniques pour Yann Tiersen, torturant guitares acoustiques et caressant la stratocaster pour Shannon Wright. Mais c’est faire peu de cas de la personnalité de ces deux timides notoires.
Si ce duo à vingt doigts fonctionne à merveille, la mise en place de la dizaine de chansons n’a pas été immédiate. La rencontre de ces deux artistes s’est faite sur une autre base que l’échange de grandes théories sur la musique mélancolique. En réalité, les mots prononcés en septembre 2003 lors d’une première rencontre furent brefs et pas du tout annonciateurs d’une future collaboration.
Tourments partagés
Printemps 2004, les véritables présentations sont faites, à Paris. Yann travaille à la préparation de maquettes pour son nouvel album, prévu pour mars 2005. Shannon se révèle, quant à elle, à un public français à l’occasion du festival Les Femmes s’en mêlent et avance à grands pas dans la réalisation de son album Over The Sun, produit par Steve Albini (PJ Harvey, Nirvana, Pixies, Dionysos). Yann et Shannon apparaissent comme des cousins celtes séparés par un océan physique, rapprochés par une sensibilité aux mélodies mélancoliques, abstraites par leur absence de contours musicaux trop mécaniques, les coins de refrains dans leurs albums respectifs n’étant pas à angle droit, les ponts pas toujours très ronds et les couplets plutôt décuplés.
Après avoir tourné autour du pot, échangé quelques sourires polis, la communication a finalement été établie. Fabrice Laureau, l’homme aux manettes de l’album L’absente de Yann, sert d’interprète et les barrières virtuelles tombent aussitôt. Ses instruments de musique en main, le duo a aussitôt transformé en véritable projet ce qui aurait pu n'être que l'évocation d’un désir de jouer de la musique ensemble. Ce disque est homogène. Il réunit deux artistes qui semblent partager les mêmes tourments, des sentiments voisins de palier. Un sang d’encre commun, une écriture trempée dans la même veine où coule un cocktail de tristesse, de joie, de colère, d’amour et d’interrogation.
Émulation
En couple parfait, Shannon et Yann se promènent les mains collées sur les cordes ou touches de leurs instruments, le long d’une même artère ouverte aux bourrasques de vent glacé, aux inspirations mystiques, aux revers de l’introspection et pas complètement bouchée au flux continu de la dépression. À l’écoute des sons de piano et de guitare gentiment familiers, calmes et maîtrisés puis stridents et débridés, à l’écoute de cette voix féline, attachante et parfois plaintive, le violoniste brestois laisse ses doigts sautiller sur les cordes, son archet aller et venir dans à un rythme contrôlé sur No Mercy For She ou Pale White. Tranquille, sur la chanson Dragon Fly, la voix de Shannon brille. À mille lieux des caciques du classic folk américain, elle s’accorde quelques accords de guitare folk électrifiée et d’accordéon pour souligner cette ballade onirique. Revenue sur terre, la guitariste américaine décoche des accords de basse et de guitare secs sur le très agité, le très PJ Harvey (période Stories From The City, Stories From The Sea) While you sleep. Sur ce morceau, une étouffante suffocation de violon, en guise d’introduction, se mue en une étonnante descente langoureuse d’arpèges à la guitare électrique toujours drôlement accompagnée d’un dégradé de voix graves, criées, flirtant à chaque expiration avec la rupture des cordes.
Comme dans un combat de boxe déséquilibré, le duo se livre à un duel amical, inconscient, où l’émulation rivalise avec la passion, où le piano défie la batterie pour le bien de la musique sur Callous Son. Dried Sea, une chanson belle et étrange comme une éclipse solaire, démarre comme un morceau des Red House Painters, avec un riff de guitare dépouillé. C’est à peine si la batterie s’entend tellement le violon se fait magnanime sur ce qui restera comme le chef-d’œuvre indiscutable de ce disque. Fin d’album, genou à terre, on se plaît à élaborer un plan de carrière commun à nos deux génies associés. Mais Shannon Wright et Yann Tiersen doivent aussi penser à d’autres desseins plus solitaires. Leurs concerts aux Transmusicales de Rennes les 3, 4 et 5 décembre pourraient pourtant sceller définitivement cette union et leur donner envie de (pro)créer un peu plus de ces prodigal songs, des chansons venues de l’au-delà.
Yann Tiersen & Shannon Wright (Vicious Circle - Ici d’Ailleurs/Discograph) 2004