Nouvelle carrière pour Idrissa Soumaoro

À 55 ans, après avoir consacré sa vie à l’enseignement de la musique, Idrissa Soumaoro est enfin récompensé. Lauréat du prix RFI Musiques du monde 2004, il va maintenant faire voyager dans le monde entier son blues conscient gorgé de références maliennes. Un bouleversement inattendu pour cet inspecteur de l’Éducation nationale, à la vie si tranquille.

Lauréat du Prix RFI Musiques du monde 2004

À 55 ans, après avoir consacré sa vie à l’enseignement de la musique, Idrissa Soumaoro est enfin récompensé. Lauréat du prix RFI Musiques du monde 2004, il va maintenant faire voyager dans le monde entier son blues conscient gorgé de références maliennes. Un bouleversement inattendu pour cet inspecteur de l’Éducation nationale, à la vie si tranquille.

"Je suis ému." Les mots prononcés par Idrissa Soumaoro à la remise de son prix semblent assez convenus. Mais s’il n’a rien laissé paraître, l'artiste malien a pourtant été très perturbé par cette consécration. Sa famille aussi. "Ma femme est très fragile à cause d’un ulcère, elle a fait une crise en apprenant la nouvelle. Moi-même, j’ai été pris de vertiges le lendemain. Je n’ai pas pu participer à l’émission de Claudy Siar [Couleurs tropicales sur RFI]", raconte-t-il avant de rassurer sur son état de santé.

Cet ancien professeur de musique a vécu deux jours fous. Jeudi 2 décembre, le soir du concours, il jouait sur ses terres, au centre culturel français de Bamako. Mais les deux autres finalistes ont fait très forte impression : les Guinéens du groupe de Ba Cissoko avec les sons envoûtants de leur kora, et la fusion multivitaminée, entre rock et rythmes sénégalais, d’Abdou Guité Seck. Le jury, présidé par l’ancienne lauréate Rokia Traoré, a eu bien du mal à les départager. Le lendemain, Idrissa a été étourdi par les sollicitations. Ce n’est que le samedi, sur scène, lors du grand concert au Palais de la culture qu’il a retrouvé sa sérénité. Une soirée à laquelle ont participé cinq lauréats du Prix RFI Musiques du monde. Le public a tout d’abord salué dignement le nouveau récipiendaire avant de vibrer sur les prestations surprises d’Habib Koité et de Rokia Traoré. Clou du spectacle, 4000 spectateurs en furie pour l’apparition de Tiken Jah Fakoly, rejoint sur un titre par Didier Awadi, figure du groupe de rap sénégalais Positive Black Soul.

Plagié

Idrissa Soumaoro a bien failli ne jamais connaître cette consécration. Pourtant, tout avait si bien commencé. Avant d'avoir vingt ans, il fait rire et danser les villages. Accompagné de sa kora, il pointe avec un humour savoureux les défauts de ses compatriotes. Le succès prend tellement d’ampleur qu’il enregistre des titres pour les émissions de variétés de l’ORTM (Office de Radiodiffusion et de Télévision du Mali). Son titre Ancien combattant enchante la population. Malheureusement. Cette chanson, piratée sur tout le continent et plagié par le Congolais Zao qui en a fait un tube, ne lui a rien rapporté : "Ça m’a découragé. Je me suis dit que si je faisais de la musique mon métier, je ne pourrais même pas subvenir à mes propres besoins, à plus forte raison fonder et nourrir une famille. Ici, dans la musique, on ne gagne rien, tu as seulement ton nom sur une cassette." Il préfère alors se consacrer à l’enseignement le jour et à l’animation musicale la nuit, attendant de rencontrer un "producteur digne de ce nom". Il est trop perfectionniste pour accepter d’enregistrer un album sans moyens, sans promotion, sans cadre légal.

Il a patienté trente ans. Entre temps, il a appris la musique aux plus jeunes, se spécialisant dans la formation des aveugles. "Les Maliens n’ont pas compris. Ils pensaient que moi aussi je voyais mal parce que j’avais des verres correcteurs alors que je suis seulement myope ! J’ai du plaisir à aider les autres, surtout les plus défavorisés par la nature, comme les handicapés. Quand j’en vois un se traîner par terre, je ne peux pas retenir mes larmes, je suis un sentimental." Sur sa route, il a croisé Amadou Bagayoko, qui a depuis connu le succès avec son épouse Mariam. Il affirme n’avoir jamais été jaloux de leur succès, bien au contraire : "Pour un enseignant, le plus beau, c’est de voir ses élèves voler de leurs propres ailes."

Idrissa a visiblement été un bon professeur, et un modèle : son fils suit ses traces. Sidi Soumaoro a monté le groupe de rap Tatapound : "Ça a été une surprise pour moi, il répétait en clando ! J’aime bien le rap parce que c’est aussi une musique engagée. Il s’adresse au pouvoir, moi je parle aux gens ordinaires." Selon le principe paternel, "la musique, d’accord, mais les études d’abord", Sidi vient de soutenir un mémoire d’étude supérieure en environnement.

Nouvelle donne

Mêler enseignement et musique n'est pas un choix pas toujours bien compris. Lorsqu’il officiait au sein du groupe Les Ambassadeurs, dont a fait partie Salif Keita, Idrissa Soumaoro était traité, avec un peu de dédain, de "travailleur". Mais il n’a jamais lâché prise. "Je faisais de l’animation dans les villages. C’est comme une drogue. Quand tu arrêtes, tu es en manque." Le Prix RFI va maintenant sérieusement changer la donne. "Mon producteur veut que j’arrête l’animation, je ne peux plus avoir deux activités." Ibrahima Sylla a été l’homme providentiel, celui qu’il n’attendait même plus. Grâce à lui, Köté a vu le jour. La preuve que l’on peut sortir son premier disque à 50 ans passés et rencontrer le succès.

Idrissa Soumaoro se sent désormais investi d’une mission pour le Mali et l’Afrique. À huit ans de la retraite, il va mettre de côté sa carrière de fonctionnaire, avec l’aval de ses supérieurs. "Ils m’ont dit que faire de la musique, c’était aussi travailler pour l’État." Lorsqu’on lui dit qu’il va devoir maintenant parcourir le monde, il répond d’un "ouais, ouais" ferme et tranquille. Il part bien armé avec un prix de 6000 euros (environ 4 millions de francs CFA) ainsi qu’une bourse d’aide au développement de carrière de 12.500 euros (près de 8,2 millions de francs CFA). Un artiste est toujours perçu comme un modèle pour les jeunes. Ce professeur-ci enseigne une vertu trop souvent oubliée : l’humilité. Vivre pour la musique et non vivre de la musique.

Idrissa Soumaoro Köté (Syllart Productions/Wrasse Records/dist. France: Night & Day)
Idrissa Soumaoro se produira à Paris, au Tryptique, le 16 décembre 2004.