Gonzales

Le musicien canadien Gonzales, provocateur de l'électro, mais incapable de se cantonner à un seul registre musical, revient ces jours-ci, presque assagi, avec un album intitulé sobrement Solo Piano. Portrait.

Inattendu avec un piano solo

Le musicien canadien Gonzales, provocateur de l'électro, mais incapable de se cantonner à un seul registre musical, revient ces jours-ci, presque assagi, avec un album intitulé sobrement Solo Piano. Portrait.

Rendez-vous est donné dans un studio d’enregistrement du nord de Paris. Gonzales reçoit au milieu d’un vrai capharnaüm où il semble habiter. Ce trentenaire récemment débarqué dans l’Hexagone y prépare le prochain album du chanteur français Philippe Katerine.
En cet automne, le provocateur de l’électro est revenu avec un album de piano, sobrement intitulé Solo Piano. C’est dans ce même studio, sur ce piano désossé, tapi contre un mur, qu’il a enregistré cet opus intimiste. Encore une fois, Gonzales veut surprendre son petit monde.
Avec ces allures de comique façon Jango Edwards, ce grand gaillard s’exprime calmement dans la langue de Molière. Provocateur, il l’a été, mais l’est-il encore ? Après un premier album conçu en 2000 à Berlin, Gonzales Über Alles, adopté par les fans d’électro, il s’est autoproclamé le plus mauvais MC du rap puis président de l’underground. Sur scène, il est apparu tour à tour en jogging ringard, en habit colonial, en costume rose et avec un gros cigare en bouche. Il s’explique : "Le personnage de Gonzales, c’est moi, mais exagéré, parce qu’il faut exagérer quand on s’adresse à plusieurs personnes plutôt qu’à une. (…) C’est du marketing. Dans un monde parfait, la musique serait une méritocratie, les gens qui maîtrisent tout ce qui est musique seraient les plus acclamés. Mais dans notre monde, il n’y a pas que la musique, et je n’essaye pas de résister à ce fait, je travaille avec et je l’utilise à mon avantage."

Crédible et underground

Sans doute est-ce aussi un moyen de se cacher. Rap, électro ou plus classique, sa musique semble toujours un peu mélancolique. La musique révélerait-elle le vrai Gonzales ? "Je ne sais pas, c’est très personnel comme question. Cela veut dire que les gens qui entendent cette musique ont cette mélancolie en eux. Pour moi, la musique c’est plutôt des mathématiques. Je fais autant de musique possible chaque jour, un peu comme si je faisais de l’exercice avec un muscle. Comme ça, je ne suis pas déçu si un, deux ou trois morceaux ne sont pas bien. Je pense si bémol, cadence, fortissimo… Si quelqu’un y voit quelque chose tant mieux !" Il ne faut donc pas chercher ses états d’âme dans sa musique. Pour la mélancolie, il préfère invoquer ses origines slaves.

Et c’est là que tout se complique : Gonzales est cosmopolite. Difficile de dire d’où il vient. Il est canadien, avec des origines hongroises, mais habite Paris depuis plus d'un an et possède un passeport français. À Toronto, il a eu pour colocataires les chanteuses Feist et Peaches, avec lesquelles les collaborations musicales n’ont pas cessé. En 1999, il est parti vivre à Berlin. "Le Canada est un peu un pays sans style", explique-t-il. On croirait qu’il parle aussi de lui, qui change de style et de costume à chaque album. Avant même de devenir Gonzales, le jeune Jason Beck ne pouvait s’empêcher cette versatilité. "J’ai fait mon premier album avec des potes, le deuxième avec un sampler. Il me semblait déjà impossible de faire un album dans le même style deux fois de suite." Surprendre est devenu sa marque de fabrique. Au risque de dérouter ses fidèles. "J’ai essayé de surprendre les gens en faisant une musique “crédible” et “underground”, tout en utilisant les mêmes armes que Christina Aguilera, qui maîtrise très bien tout son marketing. Je sais que ce n’est pas confortable d’être fan de Gonzales, parce que ça change tout le temps !"

Avant de faire comme les vedettes américaines, il a commencé par imiter son grand frère. Pour faire comme lui, il a voulu jouer du piano dès l'âge de quatre ans. Mais pour s'en démarquer, il n’a pas pris de leçons avant l’âge de dix-sept ans. "J’avais toujours des leçons à travers mon frère, qui, lui, en prenait. Cela coulait de lui à moi." La musique électronique, il ne s’y est finalement mis que très récemment, à l’âge de vingt-huit ans, lorsqu’il habitait Berlin.

Le piano est donc là depuis toujours. C’est au piano que Gonzales compose d’abord tous ses morceaux. Puis certaines fois cela devient finalement un album entièrement électronique. Fin 2003, lors de son retour pour les fêtes de fin d’année au Canada, sa famille l’a encouragé à publier tels quels ces morceaux pour piano seul. "J’avais déjà marre des musiques électroniques et du hip-hop au moment même où j’en faisais. Je n’ai pas beaucoup de respect pour les musiques actuelles, parce que musicalement, il y a beaucoup moins de maîtrise. En même temps, la surprise est très importante. En venant en Europe, j’ai observé la scène électro à Berlin, beaucoup avaient une suspicion de la maîtrise de la musique et de leur image. Ils sont contre les artistes fabriqués et donc ne donnent rien sur scène."

Gonzo l’amuseur

Et voici le clown électro-rap derrière un piano, comme assagi à jouer de la musique douce. Un peu comme s’il accompagnait un film muet, façon Ravel et Satie, dans un cinéma de quartier. Mais sur scène, l’écran montre les mains du pianiste. Pourtant, l'artiste risque de déconcerter davantage avec ce Solo Piano, car chose étrange, il y fait preuve de mesure et d’introversion. Mais il se défend : "Ce n’est pas sage sur scène ! Je crois toujours en l’Entertainist, à la science de l’amusement ! C’est juste un personnage qui évolue." La dérision n’est donc toujours pas loin.

Mais derrière Gonzales, il y a toujours Jason Beck. Il y a le musicien derrière l’amuseur (The Entertainist, titre de son deuxième album). Et si le musicien canadien est ici en studio à Paris, c’est comme arrangeur, et ce n’est pas la première fois. Après leur rencontre sur son troisième album, Presidential Suite (2002), le producteur Renaud Letang (Manu Chao, c’est lui) a décidé d’appeler Gonzales à la rescousse de quelques grandes figures de la chanson française. Françoise Hardy, Jane Birkin, Adamo ou Charles Aznavour se sont adjoint l’oreille étrangère de Gonzo. Et une fois encore ce musicien cosmopolite nous surprend, en arrivant là où on ne l’attendait pas.

Gonzales Solo Piano (No Format/Universal Music Jazz) 2004