Les deux cultures de Takfarinas

Takfarinas vient de réaliser un double album, Honneur aux dames, qui constitue la passerelle entre ses deux cultures, kabyle et française. Avec un opus riche en rencontres inédites, le rocker à la mandol cherche à sortir la musique yal, mélange de folk berbère confronté aux sonorités funky-reggae-rap-rock, de son carcan habituel. Rencontre avec l’artiste à l'occasion de ses concerts parisiens.

La yal musique en version française

Takfarinas vient de réaliser un double album, Honneur aux dames, qui constitue la passerelle entre ses deux cultures, kabyle et française. Avec un opus riche en rencontres inédites, le rocker à la mandol cherche à sortir la musique yal, mélange de folk berbère confronté aux sonorités funky-reggae-rap-rock, de son carcan habituel. Rencontre avec l’artiste à l'occasion de ses concerts parisiens.

Quinze albums depuis 1980. Takfarinas sort ses albums au rythme d’un métronome, mais c’est bien la première fois qu’il s’essaie au concept du double album. Si, à ses débuts, ses cassettes ne sortaient que dans "l’Algérie de la France", c’est-à-dire le quartier parisien de Barbès, la sortie en 1993 de son album Romane marque son entrée sur le marché international. Depuis 1979, année de son arrivée en France, l’enfant de Tixeraïne, le quartier kabyle d’Alger, vit et réfléchit en français. "Les deux cultures sont dans ma tête, dans mes veines, dans mon regard, mes pensées, mes rêves. Et je me suis dit : c’est le moment, il faut que tu t’y mettes, que tu chantes en français. Je porte cette culture. Elle est en moi ."

Pour Takfarinas, ce qui prime avec ce double album, c’est d’être enfin compris par un plus large public. Il a beau avoir rempli le Zénith de Paris, être distribué par une major, vouloir prochainement se produire dans la grande salle parisienne de Bercy, son public reste avant tout communautaire. Faire davantage connaître la yal musique, un mélange qu'il a lui-même élaboré, est le pari de cet album, le dernier en date depuis la compilation Quartier Tixeraïne en 2001. "Les Européens s’intéressent à notre musique, ils la connaissent, mais ils disent : “C’est dommage, on ne comprend pas les paroles.” Maintenant, ils peuvent les comprendre. Je chante désormais pour le corps et pour la tête, c’est important."

Chacun des deux CD à sa propre identité, Honneur aux dames est en français, Thajmilte I Thlawine en kabyle. Mais la maison de disques a tenu à ce qu’on retrouve deux titres en kabyle sur l’album en français, afin de montrer qu’il y a un autre album, une autre culture. Et inversement pour l’album kabyle. "Les Kabyles sont très fiers de ce double CD. Ils me disent : “La prochaine fois, tu nous fais un disque en espagnol ou en anglais.” Cette yal musique, qui vient des Berbères, des Amazighs, des fondations de l’Afrique du Nord, je l’ouvre au monde."

Melting-yal

L’ouverture au monde se fait également grâce aux nombreux artistes réunis sur cet opus. Un vrai melting-yal. "La participation de Rabah, de MBS (le groupe de rap algérien Micro Brise le Silence, NDLR), était très importante", commente Takfarinas. "Il n’y a pas de rap dans la musique amazigh. Il a été le premier à le faire en kabyle. C’était vraiment bien. Toutes ces collaborations étaient formidables. Cela prouve bien que tout le monde peut rentrer dans ma musique. Norbert Krieff, de Trust, m’a dit qu’il voulait me rejoindre sur scène. Cette rencontre avec le hard rock était riche d’émotions. Quand je joue le mandol, j’ai toujours un son saturé. Et avec cette guitare hard, cela fait un beau mariage." Sur l'album interviennent aussi la chanteuse de R&B China, la griotte Mamani Keïta, ou encore la meilleure rythmique reggae qui existe, à savoir les incontournables Sly Dunbar et Robbie Shakespeare. La rencontre la plus improbable est celle avec l’artiste chinois Yin Jian : "J’étais un jour dans un restaurant chinois qui passait du rap de là-bas, que j’ai trouvé super. Du coup, j’ai passé une annonce dans des journaux chinois à la recherche d’un rappeur à Pékin. J’en ai trouvé trois qui m’ont fait des propositions par Internet, et j’ai choisi Yin Jian. Il a été étonné par ma musique, c’était vraiment une belle rencontre virtuelle."

Sa musique, Takfarinas souhaite qu’elle participe à l’éducation des peuples, qu’elle soit une école. S'il est primordial pour lui de chanter en français, les textes de ces chansons ont été écrits en majorité par Hocine Hallaf, cofondateur en 1991 du groupe Aston Villa et désormais auteur pour David Hallyday. Sa démarche séduit aussi les Kabyles, qui n'hésitent pas à lui dire : "Tak, tu nous as sortis du ghetto. On était dans une cave. On en est sorti. Maintenant, on est compris !"

Faut-il que les musiques du monde soient interprétées en français pour conquérir un public plus large ? Takfarinas, lui, en fait le pari. 

Takfarinas Honneur aux dames (RCA-BMG) 2004

Takfarinas en concert les 17 et 18 décembre 2004 au Cabaret Sauvage à Paris à 20h30.