Marc Perrone
Musicien généreux et émouvant, l’accordéoniste Marc Perrone se tient à mi-chemin du monde de la chanson et des milieux du jazz. Rencontre avec un mélodique qui vient de sortir le bel album Son Ephémère Passion.
Le coeur dans l’accordéon
Musicien généreux et émouvant, l’accordéoniste Marc Perrone se tient à mi-chemin du monde de la chanson et des milieux du jazz. Rencontre avec un mélodique qui vient de sortir le bel album Son Ephémère Passion.
"J’improvise mais je ne suis pas un musicien de jazz", dit Marc Perrone. L’accordéoniste aime lâcher la bride à l’inspiration du moment, broder sur une émotion, laisser l’instrument sourire largement. Avec ses petits accordéons diatoniques de bois blond, il est devenu une personnalité à part dans le paysage de la musique en France, non loin d’un Bernard Lubat, d’un Bernard Di Donato ou de son vieil ami André Minvielle. Avec le chanteur et percussionniste gascon, il croise souvent le fer, d’invitation mutuelle en invitation mutuelle, avec peut-être plus de complicité qu’avec d’autres personnalités du jazz français : "Nous sommes dans le même rapport à l’oralité, nous ne sommes pas passés par où sont passés les autres musiciens : Minvielle a fait beaucoup de bal, j’ai fait beaucoup de musique traditionnelle. Nous n’avons pas appris la musique puis joué : nous avons joué avant d’apprendre, nous avons joué pour apprendre."
Venu du terreau des bals folk et de l’exploration du terroir, Marc Perrone a vite trouvé sa place, au début des années 80, dans le vaste mouvement agrégeant jazz, tradition et musique improvisée. Alors que l’accordéon a retrouvé en France une manière d’honorabilité par les larges possibilités de l’instrument chromatique, il reste fidèle à ses petits accordéons diatoniques : "Je ne ferais pas plus avec un accordéon chromatique. Et même, sans doute, j’en ferais moins. Avec moins de possibilités harmoniques sur un accordéon diatonique, on doit plus travailler la mélodie, l’expression, le volume."
Et sa carrière avance de disque en disque. Ainsi, dans Voyages, il racontait sa vie et celle de sa famille d’immigrés italiens en région parisienne, en tissant notamment une belle métaphore sur les destinées croisées de trois machines, la locomotive à vapeur, la machine à coudre et l’accordéon. Il a aussi donné de la musique aux cinéastes du muet français, d’À propos de Nice de Jean Vigo à Tire-au-flanc de Jean Renoir, mais aussi à des cinéastes contemporains comme Bertrand Tavernier pour Un dimanche à la campagne, qui avait écrit une scène de guinguette pour s’accorder à une valse de Perrone.
Empreinte et emprunt
Personnage au généreux charisme, rêveur pudique à la carrure d’ogre, avec sa solide silhouette terrienne, ses yeux de ciel et sa large moustache, on l’a vu accordéoniste chez Bertrand Tavernier (dans L627 et La Vie et rien d’autre), il est apparu dans Maine Océan de Jacques Rozier. Il vient de sortir l’album Son éphémère beauté, avec notamment des musiques écrites pour des films, des documentaires, le théâtre ou la radio. Surtout, il s’attache à cette part immatérielle mais si marquante de la culture populaire française : les mélodies de chansons – "Des choses qui apparaissent un matin, qu’on chante ensemble, qui disparaissent… Un patrimoine culturel." Il a beaucoup songé à son propre bagage de chansons, et à celui que chacun porte avec soi – magnifiques mélodies des grands maîtres, scies imbéciles, chansons qu’aiment aussi des gens que l’on n’aime pas… "Nous sommes marqués par les strates mélodiques de notre histoire. Cela a autant à voir avec l’empreinte qu’avec l’emprunt."
Parfois, il laisse ses chansons nues, et parfois y sème des paroles mélancoliques et souriantes – "une question de sensation. Parfois, je suis concentré sur le modelé de la musique seulement, et la musique ne demande pas de paroles." Il y a quelques semaines, au théâtre du Renard, à Paris, à deux pas du centre Beaubourg, il faisait chanter au public une petite chanson inédite qui s’appelle Leçon de valse : "J’aime chanter et faire chanter, que les gens comprennent que ce que fait le chanteur n’est pas loin d’eux. Je suis étonné, en Angleterre, par les chants dans les stades. En France, quand on a fait : “et un, et deux, et trois-zéro”, on est au maximum. Il faudrait même refaire les slogans dans les manifestations… C’est pourquoi j’ai mis ces slogans à l’intérieur de la pochette du disque : “chante toi-même, tu ne sais pas qui chantera pour toi” et “qui sifflote s’implique”. J’aime faire fredonner les gens dans mes concerts, leur demander de reprendre un refrain avec moi. Le contraire du karaoké, où un seul chante et tous les autres se moquent".
Marc Perrone Son éphémère beauté (Rue Bleue-L’Autre Distribution) 2004