Une année en musique : Ray Lema
Une année en musique, troisième volet : Homme de défis, Ray Lema n'en finit pas de surprendre. En 2004, avec son nouvel album, Mizila, il s'est livré à un exercice de piano solo, alliant légèreté gazouillante et sereine élégance. Rencontre avec un musicien emblématique de l'apport de l'Afrique à la diversité de la scène française.
Histoires sans paroles
Une année en musique, troisième volet : Homme de défis, Ray Lema n'en finit pas de surprendre. En 2004, avec son nouvel album, Mizila, il s'est livré à un exercice de piano solo, alliant légèreté gazouillante et sereine élégance. Rencontre avec un musicien emblématique de l'apport de l'Afrique à la diversité de la scène française.
RFI Musique : Que signifie le titre de votre album ?
Ray Lema: Mizila est le nom de ma mère, aujourd'hui décédée. C'était une femme extraordinaire. Elle a beaucoup souffert de son entêtement à me soutenir dans mon choix d'aller vers la musique, contre l'avis de toute la famille qui aurait voulu faire de moi l'énième médecin de la ville. De même, bien qu'elle soit protestante, elle n'avait pas tenté de me dissuader, quand, à l'âge de dix ans, je lui annonçais que je voulais devenir prêtre catholique. Ce disque, pour moi, a donc une valeur très sentimentale. C'est un peu comme un cadeau que je lui offrirais, un truc suffisamment simple pour qu'elle puisse l'absorber, l'écouter sans difficulté, elle qui n'avait pas de références musicales.
On vous dit né dans un train. Les circonstances de cette venue au monde auraient-elles eu une incidence sur le fil inconstant de vos jours par la suite ?
Je ne suis pas tout à fait né dans un train mais dans la petite salle d'attente d'une gare où l'on avait eu le temps d'installer ma mère. Ces circonstances particulières de ma naissance ont-elles été déterminantes pour mon avenir? Je ne sais pas trop. Ce qui est certain, en revanche, c'est que d'une part je suis croyant et j'ai donc cette manie de croire qu'il n'y a rien d'isolé, qu'un fait en tire un autre. D'autre part, si je regarde ma vie, je la vois jalonnée de gares, d'aéroports. Je ne connais que ça depuis que j'ai quitté mon pays. Donc, cette naissance dans une gare, je me dis qu'il faut prendre cela comme un signe annonciateur de ce qui allait suivre.
Votre vie est également faite de bifurcations. Vous avez par exemple abandonné le séminaire et votre vocation religieuse pour vous consacrer à la musique. Pourquoi ce virage ?
J'avais eu une grande déception avec l'Église. À propos de beaucoup de questions restées sans réponse. Quand je m'interrogeais sur tel ou tel point, on me répondait systématiquement, "cela relève de la foi". Moi, j'ai un esprit qui ne se satisfait pas de ce genre d'explication. Comme je ne recevais pas de réponses claires des pères du séminaire à nombre de questions qui me traversaient la tête, le doute a commencé à s'installer.
Avez-vous une quête particulière en tant que musicien et compositeur ?
Lorsque j'ai étudié les musiques de chez moi, sur le terrain, je me suis rendu compte que, rythmiquement, nous avons une science très très élaborée, que les agencements rythmiques sont rigides. À peine tu bouges un accent d'un quart de millimètre et tout le monde s'arrête, te dit que ça ne va pas. Quand je suis arrivé en Occident, j'ai appris un truc dont personne ne m'avait jamais parlé en Afrique et qui m'a bouleversé. Un jour, au cours d'un workshop d'harmonie, on nous a expliqué que la gamme est une mélodie sortie simplement après l'observation d'harmoniques qui se trouvent dans chaque son. Dans chaque son, ai-je appris ce jour-là, il y a au moins trente-deux harmoniques perceptibles au-dessus du son initial, trente-deux notes qui se superposent. Chez nous, on est loin de cette analyse en musique car nous sommes dans l'horizontalité. En Occident, vous êtes dans la verticalité. À partir de ce constat, je me suis mis à rêver, je me suis dit : c'est extraordinaire. Ces deux cultures, quelque part, sont complémentaires. Donc, ma quête en tant que compositeur, c'est d'arriver à cette complémentarité entre verticalité et horizontalité. En fait, pour moi, quand on parle de musique "moderne", cela signifie que les deux sont présentes, que l'on a su allier le groove à une certaine science harmonique.
Vous vous considérez comme musicien africain ou musicien tout court ?
Musicien, mais d'origine africaine. Peu de musiciens blancs ont vraiment pigé ce que cherche l'Africain quand il se met à partir dans cette horizontalité, de même qu'il y a peu d'Africains qui ont fait des compositions harmoniques aussi élaborées que certains compositeurs classiques occidentaux. Dans un sens, comme dans l'autre, je me sens encore bien africain et mon nouvel album porte évidemment la marque de là d'où je viens. Les amis qui m'écoutent quand je suis au piano me disent que j'ai une manière assez "vicieuse" de mélanger les mains rythmiquement. Je sais que cette chose-là, je l'amène de l'Afrique.
Ray Lema Mizila (One Drop/Nocturne) 2004