Kat Onoma, in memoriam
Plusieurs fois, à tant voir les membres du groupe s’aventurer en solo, on y avait cru, on l’avait craint. Cette fois-ci, c’est officiel : avec la sortie du CD et du DVD All The Best From (ensemble sous la même pochette), Kat Onoma interrompt sa carrière. Retour sur l’histoire d’un groupe singulier et sur les projets de son non moins singulier leader, Rodolphe Burger.
Séparation officielle du groupe de Rodolphe Burger
Plusieurs fois, à tant voir les membres du groupe s’aventurer en solo, on y avait cru, on l’avait craint. Cette fois-ci, c’est officiel : avec la sortie du CD et du DVD All The Best From (ensemble sous la même pochette), Kat Onoma interrompt sa carrière. Retour sur l’histoire d’un groupe singulier et sur les projets de son non moins singulier leader, Rodolphe Burger.
Sur la sobre pochette noire, une ligne en rouge et gris : "All The Best From Kat Onoma", jeu de mots sur l’idée de best of et sur la formule de politesse anglaise que l’on trouve à la fin des lettres chaleureuses – quelque chose comme "avec les meilleurs sentiments de". C’est donc la fin : Kat Onoma est dissous. D’ailleurs, Philippe Poirier, saxophoniste mais aussi un des guitaristes, auteurs et chanteurs du groupe, vient de publier un nouvel album en solo, Qu’est-ce qui m’a pris, et on ne cesse d’ajouter à chaque trimestre un nouvel épisode à la copieuse carrière de Rodolphe Burger, l’ancien leader du groupe – ou plutôt frontman, diraient les Anglosaxons. À l’origine, le groupe souhaitait publier un DVD d’archives, avec extraits de concerts, clips, larges passages du documentaire Kat Onoma comme son nom l’indique (réalisé par Philippe Poirier lui-même), souvenirs de ses rares passages télévisés… Assez naturellement, il décide également d’une compilation résumant l’aventure en un CD de dix-huit titres. Il apparaît, comme "une évidence partagée" que cela sera le "dernier objet" de Kat Onoma. Et le groupe annonce sa dissolution.
Prend fin alors une des aventures les plus singulières du rock en France, trajectoire complexe, souvent rendue discontinue par mille avatars de maisons de disques et par les scrupules de personnalités aussi exigeantes que généreuses musicalement. Au commencement, des musiciens qui, à Strasbourg, agrègent des influences et des passions très diverses : Velvet Underground et jazz moderne, new wave et littérature sombre. Rodolphe Burger à la guitare et au chant, Philippe Poirier au saxophone et à la guitare, Guy "Bix" Bickel à la trompette, Pascal Benoît à la batterie et Pierre Keyling à la basse apparaissent en tant que Kat Onoma (en grec ancien : "comme son nom l’indique") en 1986 avec le quatre-titres Beggar’s Law. Un son nocturne, une langue anglaise touffue, des climats lourds de menaces : aussitôt, le groupe suscite l’intérêt de la critique et d’un public d’abord mince mais extrêmement fidèle.
Les albums du groupe (Cupid, Stock Phrases, Billy the Kid, Far From the Pictures) sortent avec une régularité bousculée par les faillites, les reprises ou les atermoiements de leurs labels discographiques successifs. Qualifié souvent de groupe "intello" par la presse, Kat Onoma propose une musique riche d’un énorme sous-texte, de liens étroits avec la littérature (notamment avec le poète Thomas Lago alias Pierre Alféri), affronte avec d’infinies pudeurs la langue française… Comme le dit un jour Le Figaro, le groupe aime "compliquer la droite par l’usage de la raideur".
Chacun sa route
"Nous aurions presque pu nous arrêter après Happy Birthday Public", note Rodolphe Burger. À l’époque – l’hiver 1996-1997 –, une série de concerts au Garage et au Pigall’s puis un disque live rassemblent ses fans autour des dix ans du groupe et – surtout – réunit Kat Onoma autour d’une nouvelle aventure, alors que ses membres s’orientent sur des choix de vie et des options artistiques de plus en plus divergents. Ensuite, c’est le silence, les carrières solo de Rodolphe Burger et Philippe Poirier qui s’affirment. Pourtant, cinq ans plus tard, presque par surprise, va paraître l’album Kat Onoma, surprise magnifique pour le groupe comme pour ses fidèles. Le choix du titre éponyme est parlant : ce sera le dernier album original de Kat Onoma, et peut-être le meilleur, avec notamment les lourdes menaces de Que sera votre vie, sur un texte apocalyptique de Pierre Alféri ("Que sera votre vie quand/L’air sera liquide/L’eau, solide/La terre, le feu"). Humainement et artistiquement, suivra "celle qui est pour moi la plus belle tournée", selon Rodolphe Burger.
Puis, alors que la carrière de Rodolphe Burger se constitue de plus en plus en une série d’aventures de rencontres, le musicien se transforme en homme d’entreprise avec le lancement de Dernière Bande. Le nom est celui d’une pièce de Samuel Beckett mais aussi celui du premier groupe créé, à l’aube des années 80, et qui donnera naissance à Kat Onoma. Au programme : rééditer la production passée de Kat Onoma et publier l’abondante production de Rodolphe Burger (le Cantique des cantiques chanté par Alain Bashung et Chloé Mons, un disque en duo avec James Blood Ulmer, l’album de Jeanne Balibar, Hôtel Robinson réalisé à l’île de Batz en Bretagne, des collaborations avec l’homme de théâtre Olivier Cadiot...). Le guitariste fait usage d’une liberté rare dans le business en France et reconnaît volontiers qu’on lui a souvent dit, dans ses maisons de disques précédentes, qu’il était "trop artiste. Il est vrai que je peux difficilement m’insérer dans une structure, avec des choses aussi diverses qu’accompagner Jeanne Balibar à Beyrouth, faire des cinéconcerts, jouer du rock’n roll au musée…"
Plus que de la fin de Kat Onoma, ce sont ses projets à venir que préfère évoquer Rodolphe Burger. Il y a sa rencontre avec le chanteur traditionnel Erik Marchand, présentée en concert aux dernières Transmusicales de Rennes, avant sa parution du disque au mois de mars prochain, la sortie de Planétarium créé à la Cité des Sciences avec Yves Dormoy (joué récemment à Montréal et bientôt au Japon), le festival C’est dans la vallée qu’il organise en Alsace, une résidence de création en février prochain à Cavaillon avec Olivier Cadiot, un album solo en préparation…
Kat Onoma, All The Best From (Dernière Bande/Wagram) 2004
Philippe Poirier, Qu’est-ce qui m’a pris (Microbe/Discograph) 2004