Le charme intacte des Orientales

C’est l'âge d’or du music-hall d’Algérie que Les Orientales, spectacle aujourd’hui disponible en CD et DVD, propose de revisiter à travers quelques-uns de ses plus grands succès. En parallèle des musiques traditionnelles ou savantes d’Afrique du Nord, ce répertoire citadin a connu son apogée entre 1940 et 1960.

Voyage au coeur de l’âge d’or du music-hall d’Algérie

C’est l'âge d’or du music-hall d’Algérie que Les Orientales, spectacle aujourd’hui disponible en CD et DVD, propose de revisiter à travers quelques-uns de ses plus grands succès. En parallèle des musiques traditionnelles ou savantes d’Afrique du Nord, ce répertoire citadin a connu son apogée entre 1940 et 1960.

      Jamais réalisé auparavant, ce travail sur le music-hall d’Algérie tourne les pages d’un livre que les plus jeunes générations des deux rives de la Méditerranée auraient pu ne jamais connaître. En effet, présent dans le coeur de tous ceux qui ont vécu ces années pré et post-Seconde Guerre mondiale en Algérie, ce répertoire n’apparaît que par bribes chez leur enfants ou petits-enfants. Si Sidi h’bibi, le plus connu d’entre tous, peut être fredonné par une frange importante de la population aujourd’hui, ce titre ne le doit qu’à la reprise qu’en a faite la Mano Negra dans les années 80. Sans Manu Chao et sa bande, cette perle du répertoire algérien aurait connu le sort partagé par la plupart des titres de ce recueil. "Cette tradition musicale étant presque essentiellement orale, notre premier travail a consisté à collecter la matière première, à savoir les airs, mélodies et paroles de ces chansons. Jusqu’à réunir 30 versions différentes d’un même titre", relatait Gil Aniorte-Paz, directeur artistique de ce projet et leader, avec sa soeur Sylvie, de la formation marseillaise Barrio Chino.

 Enfants de pieds-noirs oranais d’origine espagnole, tous deux se sont entourés de l’orchestre Bab el Marseille, composé de fidèles de Barrio Chino et de musiciens de l’Orchestre à cordes de la radio Algérienne. Pour les voix, Sylvie Aniorte-Paz a d'abord partagé le micro avec la chanteuse algéroise Mona Boutchebak et avec Amina. L'artiste franco-tunisienne avait mis de côté momentanément sa carrière solo pour collaborer à l’élaboration du spectacle, mis en scène par Caroline Loeb, et participer aux premières représentations, dont celle captée sur le DVD au Théâtre Mogador (Paris), avant de laisser sa place à la Marseillaise aux origines constantinoises, Saleha Moudjari. Les Orientales ont été jouées à Marseille, Paris, Rouen… et en Algérie (Constantine, Alger, Oran). Voyage intense en émotions et en souvenirs pour le frère et la soeur, mais aussi pour Saleha Moudjari, qui renouaient par le chant avec le pays de leurs parents.

La world music avant l’heure

 

 "Le music-hall a été le lieu de tous les brassages", relatait Gil Aniorte-Paz en 2003, lors de la première présentation du projet dans leur studio phocéen du boulevard des Dames, qui relie le Port autonome à la Porte d’Aix, l’axe principal des nouveaux arrivants dans la ville blanche et bleue. "Musique andalouse, orientale et flamenca, mix de textes en arabe et en français, le music-hall algérien a inventé la world music avant même que le mot ne soit créé !", affirmait-t-il alors. Ce n’est pas Maurice el Medioni, autre Marseillais originaire d’Oran, d’une trentaine d’années son aîné, qui le contredira. Ce pianiste qui s’est découvert, au contact des soldats américains basés dans sa ville lors de la Deuxième Guerre mondiale, un jeu, un touché au carrefour des phrasés orientaux et latin-jazz, a suivi avec émotion ce projet qui s’approprie trois de ses compositions. Le DVD propose d’ailleurs en bonus une version d'Ahlen Ouassalen où le joyeux septuagénaire est au piano.

La veine est toute trouvée. Les inflexions latines enrichissent le propos musical du directeur artistique et arrangeur, d’autant plus que Alejandro del Valle, son complice sur les arrangements et chef d’orchestre du Bab-el Marseille est cubain. Pas étonnant que Stenitek, un des titres du CD qui ne figure pas sur le DVD, soit librement inspiré du célébrissime Besame Mucho. C’est aussi ça le music-hall algérien : une école de la fraternité !

Décevant à l’image

Ambitieux et très agréable musicalement, ce spectacle filmé au théâtre Mogador à Paris est quelque peu décevant dans son format DVD. Hormis le plaisir de partager ce moment avec ces trois chanteuses vraiment uniques – aucune ne singe l’autre, chacune affirmant à travers son histoire et sa personnalité son approche et son amour du music-hall algérien – on regrette tout de même le découpage par chanson qui saucissonne l’atmosphère du concert, les cadrages toujours centrés sur les chanteuses, qui installent les musiciens dans un rôle de figurants, et les bonus aux interventions souvent redondantes. Un tournage dans un théâtre offrant plus de proximité, voire même dans un cabaret un peu rococo, aurait probablement atténué certains de ces défauts, insufflé une réelle impression de live et de chaleur indispensable pour recréer l’univers oublié du music-hall.

Les Orientales (MK2 music) 2004