Henri Texier
Double actualité pour le contrebassiste voyageur Henri Texier. Le premier opus du Strada Sextet, son nouveau groupe, intitulé (V)ivre, ainsi que la bande originale du dernier film de Bertrand Tavernier : Holy Lola. Bellissima !
L'ivresse du jazz
Double actualité pour le contrebassiste voyageur Henri Texier. Le premier opus du Strada Sextet, son nouveau groupe, intitulé (V)ivre, ainsi que la bande originale du dernier film de Bertrand Tavernier : Holy Lola. Bellissima !
Artiste impertinent et intermittent du spectacle, comme il n’a pas manqué de le rappeler lors de sa rentrée parisienne à la Cigale, Henri Texier le militant passionné et passionnant se raconte sans compter, pendant des heures, autour d’un café, au bar (choisi par lui) du cinéma des cinéastes, du côté de la Place Clichy. La voix est douce, le débit rapide.
Fan absolu des films de Bertrand Tavernier, Henri Texier nourrissait de longue date le désir de composer pour le réalisateur d’Autour de minuit… jusqu’au jour où ce dernier, à qui il rend hommage dans son album avec la composition Lady Bertrand, débarque au Duc des Lombards pour l’écouter. Aux côtés du contrebassiste, le batteur Christophe Marguet, le trombone Guéorgui Kornazov, le baryton-sax François Corneloup, le guitariste électrique Manu Codjia, ainsi que Sébastien Texier, fils de son père, aux clarinettes et saxophone : c’est le Strada Sextet. Bel hommage à Fellini, se dit le cinéaste. Mais la strada, c’est aussi la rue en italien, la volonté d’Henri et de Sébastien de créer un orchestre aux résonances aussi populaires que sophistiquées, tendres que dures, belles que moches, pour ne rien se refuser ! Nous sommes en janvier 2003, Tavernier envoit dans la foulée le scénario de son prochain film, Holy Lola, à Texier.
Dès la lecture, Henri Texier entend des percussions, le rythme de la quête d’un couple en mal d’enfant, parti adopter à l’international, au Cambodge. Bientôt, Jacques Gamblin et Isabelle Carré seront choisis pour les rôles titres. Pulsation des coeurs qui battent la chamade, gonflés d’un trop plein d’amour et usés par le parcours du combattant imposé à l’adoptant au sein d’une société cambodgienne pauvre, corrompue et meurtrie, les percussions entendues par Henri Texier ne peuvent être celles du jazz, ni même de l’Afrique qu’il connaît si bien... À vouloir exprimer une immense tendresse, ce love stream si cher à Casavettes, les oreilles du compositeur s’arrêtent sur la musique de cour cambodgienne, mais, décidément, ce n’est pas l’atmosphère du film. Et, finalement, c’est dans les morceaux populaires khmers qu’il trouvera son inspiration, au son des tambours des temples boudhistes. Une musique qui, elle aussi, a voyagé, car "du Rajasthan au Cambodge, on retrouve le souffle de la musique indienne, modale". Comme la plupart des grands jazzmen contemporains (Davis et Coltrane), Henri aime colorer sa palette de cette musique-là.
Métallophone
Évitant le piège exotique des "chinoiseries", Henri Texier embarque François Pichon dans l’aventure. Ce fou de percussions a inventé son instrument : le métallophone. Imaginez, en fond de scène, une série de disques et autres pièces de métal rectangulaires suspendues, à la verticale, effleurées ou frappées par son inventeur. Ajoutez la clarinette de Laurent Dehors (Louis Sclavis sur le disque), Dominique Pifarély au violon, Vincent Courtois au violoncelle, la contrebasse de Bruno Chevillon et le marimba de François Merville, n’oubliez pas de rajouter le Strada Sextet, et vous obtiendrez le Holy Lola Orchestra. L’élan rythmique fonctionne, les volutes des cordes et les mélodies sensibles créent la tension nécessaire, écho intime au scénario, qui participe de la construction du film. Une quête d’enfant (qui parfois devient enquête), un chaud-froid d’espoir fragile et de découragements. "Au fur et à mesure qu’elle recevait les images, Sophie Brunet (la monteuse) travaillait avec les musiques", mais, au final, l’artiste ne s’est pas contenté, avec le disque, de publier la bande-son ! Véritable album avec des morceaux spécifiques, Henri Texier a proposé aux musiciens de développer les douze solos improvisés du film. Autant de regards sur l’oeuvre de Tavernier qui a d’ailleurs accompagné pas à pas la composition des thèmes.
La double actualité d’Henri Texier, c’est aussi la première livraison du Strada Sextet. Une photo du potos de toujours, Guy Le Querrec, en noir et blanc sur la pochette, deux amoureux black/beur contre un mur abîmé et sublimement tagué (V)ivre. Après douze années d’Azur Quartet, devenu quintet "un beau et long moment" avec ses complices Bojan Z, Glenn Ferris, Tony Rabeson, puis Sébastien Texier, fils et père ont imaginé un orchestre "fanfare, tendre, violent, résistant, intermittent". Avec (V)ivre, tout semble permis. Exit le piano, bonjour la guitare électrique du jeune Manu Codjia (28 ans), les rythmiques tribales de Christophe Marguet, les cuivres de Sébastien texier, tout juste primé au 13e Django d’or, le trombone retord de Guéorgui Kornazov, "un jazzman d’aujourd’hui avec la connaissance de toute l’histoire du jazz… Le talent en plus". Autrement dit, une bande de révoltés – c’est ainsi que l’album devait s’intituler – qui expriment leur rage de vivre l’ivresse d’une musique libre.
Henri Texier Holy Lola (Label bleu) 2004
Henri Texier Strada Sextet (V)ivre (Label bleu) 2004