Les notes bleues du désert
Itinérant, errant, rural ou urbain, au Mali le blues conte le terroir, raconte le quotidien, psalmodie l'outrage ou le défie. Avec le film From Mali to Mississippi, du réalisateur américain Martin Scorcese parti sur les traces du blues, cette musique de l'ancien empire mandingue semble avoir trouvé une reconnaissance internationale.
Le Mali, terre natale du blues
Itinérant, errant, rural ou urbain, au Mali le blues conte le terroir, raconte le quotidien, psalmodie l'outrage ou le défie. Avec le film From Mali to Mississippi, du réalisateur américain Martin Scorcese parti sur les traces du blues, cette musique de l'ancien empire mandingue semble avoir trouvé une reconnaissance internationale.
Des Songhaï de Kanau vivant dans les plaines du Djoliba (le fleuve de sang) aux Tamasheq des régions septentrionales en passant par les Bamanans de la rive gauche du Niger, le Sahel craquelé et le brûlant désert du Mali ont offert au monde une pléthore d'artistes s'inspirant de leurs racines musicales pour donner à entendre un son authentiquement blues. Ils se nomment entre autres Ali Farka Touré, Boubakar Traoré dit "Karkar", Tinariwen, Habib Koité, Amadou Bagayoko & Mariam Doumbia ou Lobi Traoré. Leur musique se nourrit du fleuve Niger, de la douleur, de la joie, de la peine, de l'espoir, creusets d'une poésie jouée avec des notes bleues.
Ici comme aux Amériques, les accords en mineur égrènent les tragédies, les idylles ou l'errance du nomade esseulé. Ici comme là-bas, les troubadours, anciens ou contemporains, traduisent, par leurs chants et leurs textes, la difficulté à dompter un environnement hostile, racontent les blessures de l'asservissement, disent avec romance l'amour ou la douleur des cœurs brisés ou expriment les racines d'une identité singulière.
Chaque instrument semble remplir une fonction spécifique : le njarka, violon populaire, la kora ou la flûte peule restituent les légendes et les épopées tandis que le gurkel, petite guitare traditionnelle, et le ngoni, luth à quatre cordes, rehaussent les exploits des chasseurs de gros gibier ou relatent les histoires des Roméo et Juliette locaux. La calebasse ou le tindé ponctuent la détresse du voyageur errant. Dans les villes, la guitare électrique, l'harmonica, la batterie et les synthés remplacent ces instruments acoustiques ou s'accouplent avec eux afin de définir la couleur urbaine de cette musique des hameaux et des oasis.
Les grandes figures du blues malien
Lauréat du Grammy Award avec Talking Tumbouctou sorti en 1993, l'agriculteur-chanteur Ali Ibrahim "Farka" Touré cherche à faire vivre l'âme de ses terres sur ses albums, que ce soit en évoquant son fleuve sur The River en 1990 ou en conviant à ses racines à travers The Source, sorti en 1991. Bien qu'elle existe depuis plus de vingt-cinq ans, la formation tamasheq Tinariwen – guerriers au propre comme au figuré – n'est apparue sur la scène internationale qu'en 2004 avec l'album Amassakoul. Sur ce disque à la fois militant et éminemment poétique, les musiques et les textes, tissés d'images et d'élégies, vont à l'essentiel. La chanson Amassakoul 'n' Tenere conte les obstacles qu'affronte le voyageur du désert et son espoir pour son peuple unifié alors que Oualahila Ar Tesninam déplore l'indolence des résignés. Dans Ténéré Dafeo Nikchan, bouleversante complainte psalmodiée, l'insurgé revisite les traces du passé et pétrit l'argile des souvenirs et de la nostalgie.
Le souvenir est aussi très présent dans les morceaux de Boubakar Traoré. Surnommé "Karkar" et connu dans son pays depuis son premier tube, Mali Twist, enregistré en 1963, ce chanteur guitariste laisse échapper de son coeur saignant un spleen intense. Depuis la mort tragique de sa femme, sa musique est une longue litanie de souffrance et le film de Jacques Sarasin Je chanterai pour toi, dont il est le personnage central, peint le portrait d'un homme marqué par la douleur.
Ancien guitariste des Ambassadeurs du Motel, une formation dans laquelle s'est illustré Salif Keïta, Amadou Bagayoko a toujours séduit les Maliens par son jeu de guitare. C'est à l'Institut des aveugles de Bamako qu'il s'est lié d'amitié avec Mariam Doumbia, devenue non seulement sa partenaire sur scène mais aussi sa femme. En 1998, le couple se fait connaître du public français avec Je pense à toi, mon amour, ma chérie mais s'éloigne de cette image bluesy dans son nouvel album Dimanche à Bamako, produit par Manu Chao et paru en novembre 2004, qui installe des rythmiques électrifiée à souhait sur le socle des pentatoniques rurales.
La ruralité reste, elle, profondément ancrée dans le jeu du guitariste et chanteur Lobi Traoré. Si, avec Habib Koité qui fut le lauréat du concours Découvertes de RFI en 1993 (Prix Média-Adami), il fait partie des cadets de toute cette famille de bluesmen, tous deux n'en restent pas moins d'excellents praticiens régulièrement programmés dans les festivals des musiques du monde.
Ali Farka Touré Red & Green (réédition World Circuit) 2004
Amadou & Mariam Dimanche à Bamako (Corrida) 2004
Lobi Traoré Mali Blues (Dixiefrog) 2004
Tinariwen Amassakoul (Island/Universal Music) 2004
Ali Farka Toure en concert le 29 janvier 2005 au Bozar à Bruxelles.