Disiz la Peste, rap et racines
Le rappeur français Disiz la Peste, de son vrai nom Serigne M’Baye Gueye, est parti à la conquête de ses racines sénégalaises à travers la musique. Ses deux cassettes destinées dans un premier temps au marché africain sont aujourd’hui regroupées dans Itinéraire d’un enfant bronzé.
Un nouvel album aux couleurs du Sénégal
Le rappeur français Disiz la Peste, de son vrai nom Serigne M’Baye Gueye, est parti à la conquête de ses racines sénégalaises à travers la musique. Ses deux cassettes destinées dans un premier temps au marché africain sont aujourd’hui regroupées dans Itinéraire d’un enfant bronzé.
C’est en travaillant dans la restauration rapide que le jeune Serigne M’Baye a pu se payer son premier billet d’avion pour le Sénégal. Il n’en avait jusque-là qu’une image très floue. Sa mère, bibliothécaire et d’origine picarde, a refusé qu’il s'y rendre avant ses dix-huit ans, de peur que son père ne le garde sur place. À la descente de l’avion, il tombe des nues : "J’avais la vision que l’Occident m’en donnait : des images un peu miséreuses de l’Afrique, ou alors la vision noire américaine qui a toujours idéalisé le continent en croyant qu’on discutait avec des girafes. J’ai vu que c’était beaucoup plus civilisé matériellement que je ne le pensais et, surtout, que même si les gens étaient pauvres, ils avaient une dignité."
De ce voyage, Disiz a gardé une trace en enregistrant le titre Gnibi, paru sur son premier album Le Poisson rouge. Si, à cette époque, son tube J'pète les plombs lui confère en France une image de rappeur amusant, Gnibi a une toute autre portée au Sénégal : "Quand j’y suis retourné, on m’a accueilli avec des banderoles. Il y avait des mamans qui m’arrêtaient dans la rue pour me serrer dans leurs bras, presque les larmes aux yeux, en me disant que ce morceau les avait touchées. J’ai voulu faire quelque chose pour eux, sans en parler ici. Je savais que ça n’allait pas du tout me rapporter d’argent."
L’arrivée du toubab
Disiz conçoit tout son projet en France avec des musiciens sénégalais, dont certains en situation irrégulière. Il prend ensuite ses enregistrements et s'envole vers Dakar pour trouver un distributeur sur place : "Je crois que ça a été le pire de mes voyages. avant d’approcher El Hadj Ndiaye (un des plus gros producteur du pays avec Youssou N’Dour, NDLR), j’ai du passer par d’autres petits distributeurs qui, eux, me voyaient comme un toubab (un blanc, NDLR) en se disant qu'ils allaient m’arnaquer. Je suis finalement allé voir mon guide spirituel qui m'a obtenu un rendez-vous en quinze minutes. Là-bas, les passe-droits les plus importants sont humains. À partir du moment où tu es recommandé par quelqu’un qui t’apprécie, on se fiche de ta couleur, de ton statut."
Cette première cassette Sant Yalla (Une louange à dieux), parue en 2001, se vend très bien. Serigne M’Baye récidive en 2003 avec Sama Adjana (Mon paradis). Nouveau succès. Sur place, il gagne à peine 15 centimes d’euro par cassette officielle vendue, mais sa maison de disques, enthousiasmée par le projet, décide de le sortir en France en y ajoutant trois inédits. Itinéraire d’un enfant bronzé revisite le m’balax, la salsa, le rap. Un panorama apte à satisfaire autant les mordus de hip-hop que de musique africaine. Si ce mélange a fait tiquer les puristes sénégalais, le grand patron du rap national (en solo ou avec Positive Black Soul), Didier Awadi apprécie au contraire la démarche : "Ce qu’il a fait est très noble, il nous a même donné une leçon en utilisant notre musique traditionnelle, il ne faut pas avoir de complexe par rapport à ça."
Adepte des grands écarts, Disiz reprend également un titre de Mokobé, le rappeur malien du groupe 113, au registre pourtant très éloigné du sien : "J’y tenais parce que, pour moi, le Mali et le Sénégal, c’est la même chose. D’ailleurs, avant, c’était l’empire du Mali. Avec Mokobé, on se rejoint sur le terrain du traditionnel. On est plutôt chez l’habitant, pas au Club Med’. Il n’y a pas de jugement de valeur mais ce n’est pas Bisso na Bisso. On essaie de faire quelque chose d’authentique."
Sur plus de la moitié des morceaux, Serigne M’Baye partage le micro avec ses invités, principalement des artistes sénégalais "parce que, dans la sous-région, beaucoup ne comprennent pas le français". De son côté, il ne maîtrise qu'en partie le wolof, mais cette meilleure compréhension de la langue change déjà sa perception : "Sur cet album, j’ai fait de l’angélisme. J’avais tellement attendu mon premier voyage, qu’une fois arrivé, je n’ai vu que les bons côtés. Et, à force d’y aller, je me suis rendu compte que l’homme reste fidèle à lui-même. Le Sénégal, ce n’est pas mieux que la France. En réécoutant l'album, je réalise qu'il y a des choses que je ne dirais plus maintenant, mais, par respect envers ce que j’avais fait, je me suis dit : assume-le."
Serigne M’Baye (Disiz la Peste) Itinéraire d’un enfant bronzé (Barclay/Universal) 2004