Bob Marley fêté par l'Afrique
Dans le cadre des célébrations organisées par la Fondation Bob Marley et intitulées Africa Unite, un grand concert a rassemblé plus de 200 000 personnes dimanche 6 février en Éthiopie, pays hautement symbolique pour le mouvement rasta. Ce jour-là, la star jamaïcaine Bob Marley aurait eu soixante ans.
Concert anniversaire en Éthiopie
Dans le cadre des célébrations organisées par la Fondation Bob Marley et intitulées Africa Unite, un grand concert a rassemblé plus de 200 000 personnes dimanche 6 février en Éthiopie, pays hautement symbolique pour le mouvement rasta. Ce jour-là, la star jamaïcaine Bob Marley aurait eu soixante ans.
Ce dimanche aura commencé comme tant d’autres à Addis Abeba. Les prières ferventes de l’Église orthodoxe éthiopienne percent la nuit cristalline dès 4 heures du matin. Relayant les chants des prêtres diffusés par des hauts parleurs, elles s’entrechoquent avec les aboiements des chiens et le ronronnements des camions qui alimentent cette métropole africaine de deux millions d’habitants.
Mais ce dimanche 6 février 2005 ne ressemblera à aucun autre pour les habitants de la capitale éthiopienne. Car des dizaines de milliers d’adeptes du culte rastafari et d'amateurs de reggae s'y sont donné rendez-vous pour célébrer le 60e anniversaire de Robert Nesta Marley. Les préparatifs sont intenses sur la place Meskal, qui doit accueillir 250 000 personnes pour le plus grand concert jamais organisé à Addis. À l’affiche, les cinq fils de Bob Marley, Angélique Kidjo, les Tambours du Burundi, Tedrous Afro – l’idole des jeunes Éthiopiens – et d’autres musiciens dont l’identité est tenue secrète jusqu’à la dernière minute en remplacement de Youssou N’Dour et Baaba Maal. L'absence des deux chanteurs sénégalais est une déception pour les Éthiopiens qui peinent à rompre avec une longue tradition d’autarcie et d'isolement culturel.
"Ce sont ces évènements médiatiques qui vont donner une autre image, plus positive, de l’Éthiopie", insiste Magi, revenu de son exil en Suisse pour suivre un concert que certains appelleront le Woodstock africain. "Je n’ai pas vu la capitale dans un tel état d'ébullition depuis notre victoire sur l’Érythrée en 2001", remarque l'Éthiopien Michael Melake, promoteur de musique. Venu de l'île Maurice, dans l’océan Indien, José Rose, insiste sur le fait qu'à travers cet événement les rastas "sensibilisent les Éthiopiens à leur propres racines". "Dorénavant, nous serons respectés car nous aurons prouvé que l’Éthiopie est la Terre sainte et la capitale de l’Afrique."
Dès midi, des milliers d’Éthiopiens affluent sur la grande place où l’ancien dictateur Mengistu faisait parader son armée. Les militaires y sont toujours présents, mais ils ne font rien pour empêcher la vente illégale de t-shirts, drapeaux, affiches et photos représentant le chanteur jamaïcain, première star issue du tiers monde devenue l'un des visages les plus reconnaissables du 20e siècle.
Coca Cola et Banque mondiale
Le concert démarre à 13h00 et, très vite, le public suit les rythmes alternés du reggae dub et du ska, parsemés de bribes de musique éthiopienne et de tambours burundais hypnotiques. Mais cette foule colorée est tenue à distance de la scène, et les forces de l’ordre suivent à la lettre les consignes de sécurité draconiennes exigées par Rita Marley, grande ordonnatrice de cet événement. Rastas du monde entier et jeunes Ethiopiens côtoient les publicités des sponsors, Coca Cola et la Banque Mondiale, ces symboles de "Babylone" que Bob Marley exécrait tant ! Il faut un certain temps pour entrer dans l’esprit d’union sacrée entre l’Afrique et la Jamaïque tant exhorté par les organisateurs d’Africa Unite.
Véritable bête de scène, Angélique Kidjo réveille l’enthousiasme de la foule. La chanteuse béninoise galvanise les spectateurs qu'elle harangue en anglais. "C’est toujours un bonheur de recevoir tant d’énergie d’un si grand auditoire, surtout lorsque que l’on n’est pas connu dans le pays", confie-t-elle après sa prestation. "Je dédie mon concert aujourd’hui à la mémoire de Bob Marley parce que c’est grâce à lui que tant d’entre nous ont trouvé une conscience politique." Sa prestation se termine par un duo avec Carmen Consoli pour une version émouvante de Redemption Song, puis la guitariste italienne se lance dans un répertoire méditatif de musique traditionnel sicilienne.
De quoi calmer les ardeurs du public, alors que le soir tombe et que la foule est de plus en plus compacte afflue. Sans annonce, comme tombée du ciel, Lauryn Hill apparaît alors, armée d’une simple guitare et de son sourire énigmatique. Ses rapports avec la famille Marley remontent à plusieurs années et elle se déclare émue de partager ce moment avec les héritiers d’un homme "qui a eu une profonde influence sur ma vision du monde".
Cinq enfants Marley sur scène
Puis vient le tour du Marley Brothers Band, comme se surnomment pour ce soir commémoratif cinq des fils de Bob Marley : Ziggy, Stephen, Julian, Kymani et le talentueux Damian. Menés par un Ziggy un brin trop sûr de lui-même, ils interprètent les plus grands tubes de leur père, les ré-inventant souvent avec une fraîcheur qui souligne la modernité de ces mélodies des années 70. "Je pense que, s’ils décident de se mettre ensemble et ne poursuivent pas leurs carrières individuelles, ils pourront devenir aussi importants que leur père", explique Chris Blackwell. Le producteur anglais qui propulsa Bob Marley vers une carrière planétaire avoue être profondément ému par ces célébrations en Éthiopie. Son seul regret, dit-il, c’est d’être toujours conscient que "Bob était à son apogée quand il est mort à 36 ans. Il commençait juste à comprendre l’universalité de sa vision et de sa musique".
Cependant, cette commémoration est loin de faire l’unanimité en Éthiopie. Des tracts circulent dans la rue, dénonçant "une abomination au coeur d’Abbis Abeba". Signés par La voix de la génération éthiopienne ou par l’Église Kalehiwet éthiopienne (évangéliste), ils accusent les héritiers de Marley de "promouvoir l’immoralité sexuelle" et "d’encourager l’abus de drogues". "Ne venez pas ici pour nous dire que notre ancien empereur (Haïlé Sélassié) est Dieu, et n’appelez pas notre nation Sion", concluent ils.
Les manifestations d'Africa Unite vont se poursuivent entre autres à Shashamane, ville poussiéreuse de plus de 100 000 personnes. Entre 500 et 1000 rastas y vivent depuis les années 60 selon les préceptes du fondateur du mouvement rastafari, Leonard Percival Howell, mais leur communauté est fragilisée par la perte de leurs terres et le mépris de la population locale. De nombreux représentants, lors du concert à Addis Abeba, priaient pour que le réel échange entre public éthiopien et ces rastas du monde entier soit un présage favorable à l'avenir de leurs relations. En espérant que la musique, l’esprit et les textes de Bob Marley parviennent à rendre ces rapports difficiles plus harmonieux.