Dédé Saint-Prix
Dédé Saint-Prix, le percussionniste, chanteur et flûtiste martiniquais a tardé à sortir son nouvel album solo, Fruits de la patience : entre musique et transmission, il ne cesse de travailler à l’écart des projecteurs.
Fruits de la patience
Dédé Saint-Prix, le percussionniste, chanteur et flûtiste martiniquais a tardé à sortir son nouvel album solo, Fruits de la patience : entre musique et transmission, il ne cesse de travailler à l’écart des projecteurs.
On le dit souvent, en Martinique : Dédé Saint-Prix est partout. Sa flûte de bambou, son tambour, sa voix largement timbrée, on les entend un jour avec des artistes de zouk, un jour en guest star d’un groupe de salsa, puis dans une chanson de variétés, puis avec des jazzmen, et toujours de retour à son élément premier, la musique traditionnelle et le rythme chouval bwa qui donne leur accent si singulier aux musiques martiniquaises. Tout chez lui vient de là, de l’ébahissement du gosse devant les manèges de chevaux de bois – chouval bwa en créole – dans les fêtes patronales. Il y avait l’endurance des pousseurs qui se louaient à l’heure aux propriétaires des manèges (en ce temps-là, l’homme était encore moins cher que le moteur), les cris des enfants, les musiciens qui jouaient au centre, le visage tourné vers l’axe pour ne pas être étourdis. Et le rythme inlassable : pak-pitak pitak-pak, pak-pitak pitak-pak.
C’est cette musique-là que Dédé a rapportée au jour. Après que le grand Eugène Mona a rendu au belair, musique tambourinaire rurale, une fierté rebelle, tout en majuscules et poings dressés, Dédé a réveillé le chouval bwa et son esprit paradeur, ses humeurs diurnes et joyeuses, son insolence de place de bourg, sa juvénilité charmeuse. A cinquante-deux ans, il vient de sortir Fruits de la patience, nouvel album au charme épicé, aux vertus astringentes, au ton droit et haut. Nouvel album dans une discographie riche mais discontinue, tant Dédé Saint-Prix aime l’humain sous la musique. Il cite ainsi un de ses confrères, sommité internationale des percussions : "Il me dit : Mais, Dédé, qu’est-ce que tu fous dans les conservatoires, dans les hôpitaux, dans les associations en banlieue ? C’est sur scène seulement qu’on a besoin de toi. Moi, je dis qu’on ne perd pas son temps quand on aide les gens".
Racines et transmission
Car il y a cela surtout chez ce colosse souriant qui signe toutes ses interventions au micro d’un majestueux "la po kabrit !" ("la peau de chèvre", qui sert à faire les tambours). Il a enseigné pendant des années les percussions au Conservatoire d’Angoulême, il explique tout à la fois la flûte, la créolité et un peu d’Antilles aux "négropolitains" privés de racines et de contact avec leurs îles, il donne des cours de percussions vocales à des jeunes atteints de troubles du comportement à l’hôpital psychiatrique du Kremlin-Bicêtre… "Ce n’est pas parce que les gens ne me voient pas que je ne fais rien. Au contraire, je travaille tout le temps". Transmettre, donc : des cours, des colloques, des témoignages, des rencontres – organismes officiels destinés à promouvoir l’art à l’hôpital ou gamins du bas de l’immeuble… Et puis faire, produire, construire. Depuis son précédent album solo en studio Afro Caribbean Groove, paru en 1997, et son Live de 2002, "J’ai produit l’album des frères Dodo, des troubadours haïtiens, j’ai fait un disque avec Ti Jack, et puis aussi un cinq-titres sur le Tour des yoles". Les yoles, c’est l’ancrage – sans jeu de mot – de Dédé Saint-Prix dans sa réalité d’enfance : son grand-père était pêcheur au François, sur la côte est de la Martinique et il admirait sa barque traditionnelle à voile. Depuis, la passion est restée. Lorsque, chaque été, la Martinique s’enflamme pour le Tour des yoles à la manière de la France pour son Tour cycliste, Dédé Saint-Prix est de toutes les étapes. Simplement, en 2003, il était de l’autre côté du micro, interviewait marins et suiveurs, enregistrait les manoeuvres à bord et l’ambiance sur le rivage... "Les gens me demandaient ce que je faisais : j’ai utilisé beaucoup d’éléments pour mon disque sur le Tour des yoles. C’est aussi ça, la transmission".
On comprend dès lors la foule qui se presse sur son album : Sista Majesty et MC Janik, les flûtistes Max Télèphe et Mario Masse, les pianistes Mario Canonge, Jean-Claude Naimro et Thierry Vaton… Il a enregistré certaines participations "au pays", pendant les vacances, et on entend çà et là, en tendant l’oreille, le chant d’un coq, le bruissement des arbres dans le vent – cela fait encore un peu plus d’éléments réels. Il ne s’en cache pas : lui qui est depuis toujours le chroniqueur des réalités sociales et humaines de son île, il trouve ici des accents d’éditorialiste. "C’est un disque plus tranchant. C’est peut-être parce que, depuis que je fais des albums, c’est la première fois que je suis aussi libre. Jusqu’ici, même si artistiquement j’avais réussi ma partie, il y a une part du produit qui m’échappait. J’ai créé ma propre structure de production et maintenant je contrôle tout, de l’enregistrement au mix et jusqu’aux photos et à la maquette de la pochette". Au passage, ce Dédé Saint-Prix "plus libre" égratigne les puissants de son île, s’étonne des travers de son époque, rend hommage à Celia Cruz, se fait moraliste et fabuliste, célèbre la puissance sensuelle des tambours... Autour de son chouval bwa natif, le ragga et la salsa, le zouk et le kompa, la soul et le reggae… Les vastes réalités d’un homme généreux.
Dédé Saint-Prix Fruits de la patience (LPK-Hibiscus Records) 2005