Julien Baer hors limites
Troisième album pour Julien Baer qui ressurgit pour nous offrir l’un des plus beaux albums de ce début d’année 2005, Notre dame des limites. Après une traversée d’un désert, illogique quand on a le talent de ce Teddy Baer au cœur tendre, l'artiste propose aujourd'hui un disque tout en nuances et délicatesse. Revue de détail.
Troisième album
Troisième album pour Julien Baer qui ressurgit pour nous offrir l’un des plus beaux albums de ce début d’année 2005, Notre dame des limites. Après une traversée d’un désert, illogique quand on a le talent de ce Teddy Baer au cœur tendre, l'artiste propose aujourd'hui un disque tout en nuances et délicatesse. Revue de détail.
Notre Dame des Limites va droit au coeur. Sur ce magnifique troisième album, Julien Baer compte ses histoires d’amours perdues, rigole de la frime de ces escrocs, poseurs, auxquels on s’identifie. La vie du narrateur évoquée quand on l’entend décrire ce que c’est d’être quitté, abandonné, ramené à terre. Avec le saupoudrage technologique délicat, ce disque tout en nuances est sacrément bien orchestré. Ses treize chansons sont entêtantes, émouvantes, balancées et riches à la fois. Notre Dame et ses treize "chansons-apôtres" s’enchaînent avec légèreté, créent une multitude d’ambiances et se terminent sur la voix d’un gosse qui jure qu’il n’ira plus jamais à l’école, qu’on ne le retrouvera jamais. S’agit-il d’un pied de nez au désir de liberté que tout artiste du calibre de Julien Baer revendique ? On ne sait pas. En tous cas, Baer a retrouvé la liberté d’exprimer son talent au monde entier et un contrat discographique au passage.
Ce qui transparaît dans cet album, sorti par Universal Jazz, le label dirigé par Daniel Richard, c’est la douceur de la voix de Julien, susurrée, épurée comme si on l’entendait implorer une quelconque bénédiction à un Dieu équipé d’un sonotone réglé trop fort. La voix sur Aide-moi si je peux est un murmure soufflé sur un filet de contrebasse et quelques notes de synthé vintage. Sur En boucle, la délicatesse du piano sert des paroles touchantes du borderline en pleine routine, "Trouver sa place, même à l’ombre et ne jamais obéir à la loi du plus grand nombre" chante Julien "et pourtant… je tourne en boucle, et à chaque fois, je reprends l’histoire au même endroit" conclue-t-il. Ce grand voyageur, heureux de faire ce qu’il aime, ce pourquoi il pense avoir été façonné, fuit dès qu’il peut à pied, à moto, dans les airs. Sur l’album, il en témoigne, et rassemble au plus profond de sa mémoire des sons venus d’ailleurs, des sons venus des ondes, des souvenirs de voix racontant des histoires poétiques, des évocations de la voix de Léo Ferré le monstre sacré, mais aussi à l’opposé celle du rappeur contemporain Disiz la Peste. Dans les périodes de vide, remplies en écoutant Skyrock et ces "tueries rap" complaisantes et efficaces : "je me plaisais beaucoup à écouter J’pète les plombs de Disiz la Peste ! Après tout, c’est une leçon, cette chanson. Ce riff de basse, cet univers réaliste, puissant. J’aime aussi beaucoup Gravé dans la roche de Sniper. Dans les phrasée rap, j’aime la façon de jouer avec la métrique. Même si mon chant n’a rien de commun avec le rap, moi je cherche avant tout à ce que ça marche… que le résultat soit évident, tout simplement".
L'école Bontempi
Ce culte de la perfection mélodique vient de l’époque où le petit Julien Baer s’essayait aux reprises des tubes sur Bontempi, "j’aimais tellement de chansons à la radio que j’avais envie de les imiter. C’était l’époque du disco, de Souchon et de Voulzy aussi. Ma grand-mère avait offert un orgue Bontempi à ma mère, il m’a servit pour faire mes armes, décortiquer l’architecture musicale des chansons". Le disco, le funk est présent par endroit, dans Naturel, Roi de l’underground ou Drôle de situation. Mais Julien n’a pas voulu s’enfermer dans une seule couleur musicale : "j’ai voulu élargir l’éventail des possibilités, j’ai utilisé une kora, sorte de harpe africaine (Tu es une île). Je ne suis pas un homme d’album, je ne pourrais pas donner par conséquent un ton général à un album. En entendant, en voyant Philippe Zdar (ndlr : membre de Cassius) utiliser d’une certaine manière des synthés, je me suis dis que je pourrais moi aussi les intégrer à ma manière dans mes chansons".
On croirait que le casting des musiciens et créateurs de sons fut aussi classieux et riche que lors de l’enregistrement de Cherchell, (ndlr : le précédent opus) mais "bizarrement, il y a moins de gens qui ont participé à Notre dame des limites que sur les autres, il y a plus de samples par exemple". Quelques musiciens qui ont mis la main à la patte, semblent apporter beaucoup : Nicolas Deutsch par exemple, le bassiste et contrebassiste (il accompagne aussi Julien sur scène avec le batteur Philippe Entressangle). A l’heure des bilans, Jamais facile, la plage 10 de l’album chanté sur un reggae entraînant rappelle que Julien n’a pas vraiment envie de revenir en arrière, car "ma vie n’a pas obéi à un fil direct et clair. Je savais que je voulais faire de la musique sans savoir comment m’y prendre. J’ai fini par y arriver à force de volonté. Il y avait une sorte d’errance en moi, avant de débuter la musique. Ça me semble si lointain maintenant. Mon premier disque, c’est comme si un ami à moi était passé et jamais revenu. Aujourd’hui, je n’ai pas envie d’attendre cinq ans encore pour en sortir un nouveau, l’expérience d’un renvoi de maison de disques m’a beaucoup fait souffrir". Heureusement, il y a encore de bons samaritains qui continuent de croire dans le talent de Julien Baer et des amateurs de bonne musique aussi.
Julien Baer Notre Dame des Limites (Universal Music Jazz France) 2005