Mahaleo au cinéma
Trente-trois après ses débuts, le groupe Mahaleo reste un repère incontournable de la musique malgache. Un documentaire intitulé sobrement Mahaleo, qui retrace une partie de son parcours étonnant et étroitement lié à l’histoire de la Grande Ile, sort en salle à Paris ce 16 mars.
Les révolutions passent, Mahaleo reste
Trente-trois après ses débuts, le groupe Mahaleo reste un repère incontournable de la musique malgache. Un documentaire intitulé sobrement Mahaleo, qui retrace une partie de son parcours étonnant et étroitement lié à l’histoire de la Grande Ile, sort en salle à Paris ce 16 mars.
Comme à chacun de leurs concerts, les spectateurs, qu’il aient vingt ans comme soixante, connaissent les paroles de leurs chansons par coeur. Alors que d’autres auraient depuis longtemps disjoncté devant une telle ferveur, les Mahaleo, eux, sourcillent à peine. Plutôt sérieux, généralement statiques devant leurs micros, peu loquaces entre les morceaux, les sept musiciens se regardent même parfois avec un brin de circonspection. Après trente-trois ans de carrière, le groupe phare de la musique malgache continue décidément d’être un drôle de phénomène. Comment, aussi, faire autrement quand on a été enfanté par une révolution ? C’est pendant celle de 1972 que Dadah, Dama, Raoul, Bekoto, Nono, Fafa et Charle ont en effet été découverts par le public. A l’époque, ils sont lycéens à Antsirabe et aiment tâter de la guitare. A la demande de leurs copains, ils se retrouvent animant les piquets de grève et, avec eux, réclament la fin de la politique "néo-coloniale" du pouvoir en place. Leur style, folk et vocal, fait un tabac. Surtout, ils osent chanter en malgache, alors que le français et l’anglais sont jusque-là à la mode. La légende dit que leurs chansons ont contribué à faire tomber le régime de Philibert Tsiranana. Eux, rectifient en expliquant qu’ils sont seulement arrivés au bon moment, sans d’ailleurs tout comprendre de cette effervescence politique.
La crise terminée, les Mahaleo décident de continuer leur aventure musicale, peaufinent leur style. Ils se lancent dans le "hira vokatry ny tany", les "chansons du terroir". Leurs textes, chargés d’émotions, à la fois simples et subtiles, sont fortement ancrés dans le quotidien et la culture malgache des Hautes Terres. Ils racontent la pauvreté, la folie, l’amour, la mort, la terre, l’injustice… Au cours des années 80, leur aura est énorme. "Il suffisait par exemple que les Mahaleo portent des sandales fabriquées dans du pneu, et le jour suivant tout le monde les imitait, même si on se mettait du noir partout avec !", se souvient un fan de la première heure.
Malgré le succès, les sept compères ne changent pas d’état d’esprit. Grâce à l’argent que leur rapporte la musique, ils poursuivent même leurs études. Les uns deviennent médecins ou chirurgiens, travaillent dans des hôpitaux publics. Les autres sont sociologues et accompagnent les paysans. Ces vies professionnelles contribuent à alimenter leur réflexion. "Vous qui gouvernez de là-haut, vous auriez pu réussir, si vous étiez vraiment à nos côtés, mieux encore si nous avions fait le chemin ensemble", écrit Raoul, tandis que Dadah affirme : "Laissez-moi libre de mes choix, on ne musellera pas ma bouche qui parlera (…) Nous rendrons la parole à ceux qu’on a bâillonnés, je te veux pour mon pays, ô liberté". Certains de leurs morceaux sont interdits d’antenne par le régime socialiste des années 80. "Mais, explique Bekoto, ceux qui étaient au pouvoir étaient obligés de nous respecter parce que leurs enfants nous adoraient" !
Engagement politique et musique
L’osmose qui règne au sein du groupe se fêle tout de même en 1989, lorsque Dama se présente aux élections législatives et se fait élire député "sans étiquette". Plusieurs de ses camarades ne comprennent pas son engagement. "On peut chanter la réalité sans pour autant se mettre à la politique", déclare Bekoto à cette occasion. La presse annonce la fin des Mahaleo. Ils réussissent pourtant à surmonter, peu à peu, leurs divergences. Elles réapparaissent lors de l’élection présidentielle contestée de 2001 : si certains veulent se ranger du côté de Marc Ravalomanana, le candidat de l’opposition, les autres, sceptiques, refusent d’alimenter la fièvre qui s’est emparé du pays.
Aujourd’hui, chacun poursuit son chemin à Antananarivo, Antsirabe, Tamatave ou Morondava. Sans cesser de s’interroger sur les évolutions de la société malgache. Bekoto, par exemple, s’inquiète de l’explosion actuelle des moyens de communication : "Avec eux, les problèmes du procès de Michael Jackson sont maintenant plus connus que ceux d’un artiste du sud de l’île qui vient de perdre sa femme. Il y a quelque chose qui cloche… " Parfois aussi, les Mahaleo s’avouent lassés des tribulations des hommes politiques, toujours aussi peu porteurs du changement souhaité pour Madagascar. Mais ils ne lâchent pas prise pour autant. Refusant toute nostalgie, ils continuent d’étoffer leur répertoire, déjà constitué de quelques centaines de chansons, cherchent à passer le flambeau. Certains d’entre eux collaborent ainsi avec de jeunes artistes, d’autres chantent en solo. Et quand l’occasion se présente, les sept vieux copains de lycée se retrouvent pour partager avec le public ces petites histoires de tous les jours qui le touchent toujours autant.
Fanny Pigeaud
Au cinéma : Mahaleo de César Paes et Raymond Rajaonarivelo, dans les salles parisiennes à partir du 16 mars 2005
Al bum : Mahaleo BO du film (Laterit Productions) 2005
En concert : le 20 mars 2005 au New Morning (75)
