Maîtresses chanteuses
Les albums de filles sont l’une des tendances fortes au rayon francophone des disquaires. Illustration dans trois styles différents, avec Camille, Coralie Clément et Pauline Croze. Des personnalités, des univers, des voix qui apportent une nouvelle couleur à la chanson féminine.
Camille, Coralie Clément et Pauline Croze
Les albums de filles sont l’une des tendances fortes au rayon francophone des disquaires. Illustration dans trois styles différents, avec Camille, Coralie Clément et Pauline Croze. Des personnalités, des univers, des voix qui apportent une nouvelle couleur à la chanson féminine.
Voix de fée
On avait déjà remarqué Camille en 2002, à l’aune d’un premier et déjà largement séduisant disque, Le sac des filles, où elle faisait montre d’une belle aisance textuelle et étalage de ses talents vocaux. C’est justement ce timbre virevoltant, mutin et méchamment vénéneux qui tient à lui tout seul son deuxième essai solo, Le fil. Ainsi nommé à cause de la note tenue sur les quinze titres (les mélomanes appellent ça le bourdon), Le fil est un délire vocal, une sorte de variation autour d’une note : précisément un si musical tendu d’un bout à l’autre de l’album, sur lequel Camille brode des comptines nonsensiques et des fabulettes aussi déjantées que gracieuses. Une succession d’équilibres, par définition fragiles mais toujours maîtrisés, entre chansons de factures classiques, analyses de son et vignettes déjantées.
Une cour de re-création, où se bousculent tour à tour choeurs cristallins, refrains mutants et human beat box à la mode hip hop (sur scène, Camille s’adjoint d’ailleurs les services vocaux de Sly du Saïan Supa Crew). Triturée, étirée, bousculée, malaxée, la voix de la jeune parisienne évolue ici au gré de ses humeurs, reléguant au second plan les instrumentations parcimonieuses de cet ambitieux numéro de funambule. Certains s’empresse d’ailleurs de le comparer au dernier Björk, voire aux explorations sonores d’un Bobby Mc Ferrin. On retiendra plus volontiers le côté expérimental de l’affaire - même si, par définition, il possède ses limites -, et la propension qu’à la demoiselle à jongler avec les contours de son univers. Chantant, changeant, enchanteur. Et relevée d’une pincée de folie douce.
Ex-fan des sixties
On aimerait, au moment d’évoquer, ce deuxième album de Coralie Clément, ne pas automatiquement devoir subir l’ombre de Benjamin Biolay, son producteur et auteur de frère, qui lui avait déjà offert voilà quatre ans une Salle des pas perdus taillée à sa mesure. On aurait même apprécié de se laisser prendre au jeu des ballades pop timidement musclées de Bye bye beauté, nouvelle sortie de la demoiselle au filet de voix dentelé. Sauf que, de son propre aveu, Miss Clément ne se sent aujourd’hui "pas encore prête à boucler un disque toute seule". Pas plus qu’elle n’imagine enregistrer sans son illustre aîné. Tout partait pourtant bien, avec cet Indécise ouvrant l’album sur une élégante nappe basse-batterie. Frappe franche et rythme alléchant. On en vient presque à hocher la tête, et à capituler devant la pâleur du timbre de Coralie susurrant des subtils "En général, ça m’est égal/ je ne me fais pas d’illusion, je n’ai jamais fait sensation/ En général, ça m’est égal/Je n’ai jamais rien fait de bon, mais je n’ai pas la solution". Manière de donner le ton d’un album qui en changera finalement peu. La faute à la voix de Coralie Clément, sorte de long murmure continu louant à chaque instant l’invention du micro ? Ou peut-être à une sorte de couleur uniforme, due pour égale partie à une réalisation sous influence.
Signant dix titres sur douze, l’incontournable Biolay répond donc aux envies de rock glanées par sa cadette lors de voyages new-yorkais, et livre un écrin louchant sur les 70s, clin d’oeil au Velvet Underground compris sur la plage titre. Certes, la forme est soignée, précieusement ouvragée et bénéficie en outre d’un carnet d’adresse redoutable d’efficacité (Laurent Vernerey à la basse et autres Denis Benarrosh en maître batteur, Daniel Lorca de Nada Surf le temps d’un duo). Mais elle ne se défait jamais vraiment d’un passéisme poseur, et d’un mimétisme gainsbourien quasi-obsessionnel qu’on peut au choix interpréter comme une relative facilité où une complaisance plus ou moins calculée. Certes, Bye bye beauté n’est non plus un supplice, mais sa tonalité "musique pour rock-critics bien pensants" peut rapidement lasser.
Dolce vita et matière brute
Contrairement à sa collègue Coralie Clément, Pauline Croze n’est pas vraiment du genre chuchoteuse. Non qu’elle joue dans la cour des Céline Dion et autres championnes du chant de force, mais la jeune femme semble avoir le goût du rugueux, de la matière brute, du râpeux. Comprendre par là que son premier album éponyme cultive moins les accords lissés que les riffs boisés bourrés d’aspérités, de reliefs inattendus. Cahoteux même, à l’occasion. Insensibles, les cordes nylon de sa guitare, qui façonne sur disque ces douze premières chansons ? Pas vraiment. Il y a de la rage, de la poigne, du caractère chez Mademoiselle Croze, mais surtout de l’envie. De la vie et une évidente passion –bien que le mot soit souvent galvaudé. "De la vie je ne prends que la dolce vita c'est tout, m'en voulez-vous ?/ De l’amour je n’attend qu’une main sans la bague au doigt, comprenez-vous" lâche l’ancienne étudiante en dessin en guise de carte de visite sur le premier extrait de l’album, un mid tempo accrocheur où s’envole sa gouaille douce amère.
Habillée d’un folk qui prend parfois des accents du sud, Pauline Croze signe un album dépouillé mais jamais austère. Attachant et suffisamment ouvert (grâce notamment aux plumes de Doriand ou Mickael Furnon des Mickey 3D, sollicités chacun sur un titre) pour capter l’attention. Avec dans le rôle du chef d’orchestre de luxe Edith Fambuena, moitié de feu Les Valentins et metteur en son chez Daho, Bashung ou plus récemment Tété, qui produit et arrange l’intégralité de l’album. Le résultat opte pour une relative discrétion mêlée de sobriété, mais ne manque pas de charme.
Camille Le fil (Virgin) 2005
Coralie Clément Bye bye beauté (Virgin) 2005
Pauline Croze (Wagram) 2005
Camille en tournée en France. A paris, du 14 au 16 juin au Café de la Danse.
Coralie Clément en concert à Paris au Café de la Danse le 30 avril.
Pauline Croze en concert à Paris au Zèbre du 22 au 24 mars puis en tournée en France