Murat, et de trois !
Moscou, 1829, 1451 : en mars, Jean-Louis Murat sort trois projets différents. Le premier classiquement chez les disquaires, le deuxième par téléchargement et le troisième sous forme d’un livre, d’un DVD et d’un CD vendus par correspondance. Revue de détail.
CD, DVD, livre et téléchargement
Moscou, 1829, 1451 : en mars, Jean-Louis Murat sort trois projets différents. Le premier classiquement chez les disquaires, le deuxième par téléchargement et le troisième sous forme d’un livre, d’un DVD et d’un CD vendus par correspondance. Revue de détail.
Depuis quelques années, Jean-Louis Murat est saisi d’une frénésie unique dans la chanson française : le double-CD Lilith à l’automne 2003, le DVD de chansons inédites Parfum d’acacia au jardin au printemps 2004, le CD A Bird on a Poire à l’automne 2004, et maintenant trois projets différents, qui épousent toute la gamme des moyens d’atteindre aujourd’hui le public, notamment via internet. Le plus inhabituel dans sa forme est 1451. C’est surtout un livre, disponible à la commande à partir du 14 mars, uniquement sur le site www.jlmurat.com, et tiré à 1.000 exemplaires seulement. Il s’agit d’un poème de mille vers, écrit et illustré de la main de Murat : 96 pages sur papier vergé avec quarante-deux illustrations – parfois un peu érotiques – et deux disques à la fin du volume. A la fois lyrique et sec, le long poème décrit les états d’âme de Murat ("lapin", comme il s’appelle dans les notes en marge) face à son temps, à son oeuvre, à l’écriture. C’est à la fois un autoportrait de l’artiste ("Je me mijote un style/De chat huant/De pie voleuse/De fou furieux") et un pamphlet – un de plus pour Murat – sur l’époque et son vacarme ("Je ne supporte plus la folle ronde/Des insomniaques qui veulent rafistoler le monde/Le flot baveux de ces corneilles/Dieu m’en garde – comme d’un feu"). Se disant en 1451 – pour notre calendrier, c’est un peu avant la fin du Moyen-Age –, il s’adresse à notre temps, à ses manques et à ses perditions. Le texte est celui d’un poète, certes, mais aussi d’un moraliste, dans un ressassement et une vigueur que n’autorise pas, sans doute, l’écriture de chansons.
Murat a enregistré 1451, sur deux supports encartés à la fin du livre : une première partie du poème sur DVD, la seconde sur CD. Le film de trente-huit minutes est un objet artistique curieux, sans doute plus délectable pour son réalisateur-acteur-scénariste-héros que pour le spectateur, un peu désarçonné par le long plan fixe d’un morceau de champs en Auvergne, avec la ligne des montagnes au loin et le soleil qui émerge lentement des nuages. Au début, c’est la pénombre, que quelques silhouettes de vaches amicales animent, puis peu à peu le jour se fait. Régulièrement survient Lapin, c’est-à-dire Jean-Louis Murat lui-même dans un costume de lapin blanc dont il tripote nerveusement les oreilles. Il apparaît, disparaît, va et vient, puis finit – à la fin des trente-huit minutes – par se débarrasser de son costume. Là, le plus intéressant reste le texte, enregistré d’une voix ferme et discrètement accompagné.
Le deuxième projet ne sera, dans un premier temps, que disponible par téléchargement payant, avant de sortir en CD le 3 mai. Le lettré Jean-Louis Murat a adapté, pour 1829, onze textes du chansonnier Pierre Jean de Béranger (1780-1857), nostalgique des gloires de l’Empire et avide de liberté pour le peuple. Murat a puisé notamment dans les textes révérant Napoléon Ier qui firent une bonne part de la gloire populaire de Béranger (Waterloo, Le 5 Mai, Les Souvenirs du peuple). A l’époque, pour échapper à la censure, Béranger emploie mille métaphores pour désigner l’empereur déchu et célébrer la crainte qu’il inspire toujours à l’Europe des rois : "Dès qu'on signale une nef vagabonde,/" Serait-ce lui? " disent les potentats,/" Vient-il encor redemander le monde?/Armons soudain deux millions de soldats. "/Et lui, peut-être accablé de souffrance,/A la patrie adresse ses adieux". Murat chante aussi quelques délicieuses inventions de Béranger, comme son vigoureux conte antireligieux Le Pape musulman.
C’est l’écriture de Moscou qui l’a conduit à Béranger. La première chanson de l’album, La Fille du capitaine, est inspirée d’une nouvelle de Pouchkine, qui évoque dans sa correspondance le chansonnier français. Aussi les premières chansons qu’il a adaptées de Béranger sont-elles sur ce disque-ci : La Bacchante, La Fille du fossoyeur et Jeanne la Rousse. Si, pour 1829, le chanteur travaille uniquement avec ses complices Fred Jimenez (basse, choeurs) et Stéphane Reynaud (batterie, percussions), il a largement ouvert son carnet d’adresses pour Moscou. On croise Dickon Hinchliffe de Tindersticks pour l’écriture des cordes, Camille pour une chanson et – surtout – Carla Bruni pour un duo, Ce que désires, dont les qualités devraient à la fois combler les fans de Murat et enthousiasmer les radios – mélodie country-pop, refrain accrocheur, arrangements limpides, texte discrètement suggestif…
Plusieurs textes s’inspirant directement de la Russie, ce disque peut paraître une suite du Moujik et sa femme, paru en 2002. Mais, dans l’exigence de l’écriture, son mélange de sobriété et d’orfèvrerie, Murat est toujours dans les sommets de certaines chansons de Lilith et de Parfum d’accacia au-dessus du jardin : "Plus rien n’éclaire l’abîme/Rassemble tes cheveux flous/Apôtre de courtoisie/Frêle gosier, chante-nous/Avant puis arrière/Oh voilà le chemin/Ô dieu des poussières/Voilà donc le destin/Mais le désert avance".
Jean-Louis Murat : Moscou 1 CD (Labels) 2005
Jean-Louis Murat : 1829, téléchargement payant sur jlmurat.com, puis en CD à partir du 3 mai
Jean-Louis Murat : 1451, un livre avec un DVD et un CD, disponible sur jlmurat.com