BELL OEIL ET SON CORPS

Bell Oeil est né dans le fantasme, chemine depuis dix ans sur des sentiers de traverses, aboutit aujourd’hui à son quatrième album intitulé Un corps. Le chanteur est d’un charisme rare, l’histoire d’une sincérité touchante et la quête à fleur d’homme.

Nouvel album du groupe angevin

Bell Oeil est né dans le fantasme, chemine depuis dix ans sur des sentiers de traverses, aboutit aujourd’hui à son quatrième album intitulé Un corps. Le chanteur est d’un charisme rare, l’histoire d’une sincérité touchante et la quête à fleur d’homme.

 

 Ce groupe angevin est né autour de Christophe Bell Oeil, jeune homme volontaire aux multiples talents artistiques. Dès la fin de son adolescence il peint, écrit des scenarii, auto-édite trois albums de BD. La musique arrive plus tardivement, comme une envie irrépressible dont on n’a même pas peur. "Je voulais être chanteur. J’ai acheté un accordéon, j’ai composé chez moi avec trois ou quatre accords, et comme je ne connaissais pas de musiciens du tout, j’ai passé une petite annonce dans le journal. Cela a été les bonnes personnes très vite. Mais je ne savais ni écrire, ni chanter."

Etrange révélation de la part d’un groupe qui s’est fait remarqué tout de suite par sa voix aux vibratos déchirés et ses textes écorchés vifs. Le premier album Le cri pose les choses fin 1999, et les cinq membres de la formation remportent vite un succès d’estime. La scène reste leur terrain de prédilection, leurs énergies rares se prennent dans le ventre, et la presse glose en classant leur musique dans la catégorie réaliste. La contrebasse, l’accordéon, la clarinette appuient largement cette étiquette. Tout se bouscule à la sortie de Cabossé en 2002. Ce second disque, encore plus sombre, révèle une partie rock indéniable. Et ce n’est pas Un corps dernièrement sorti qui apporte une réponse. L’électrique se fait entendre ou disparaît selon le titre, les influences classiques ou alternatives se croisent au gré des besoins. "On ne réfléchit pas, les étiquettes évoluent avec nous, nos influences. On cherche toujours la forme adéquate au fond. On veut illustrer, voire rajouter du sens au texte, rendre visible le sentiment, l’état d’âme. Cela a déjà existé en peinture, c’est de l’expressionnisme. Admettons que nous fassions de la musique expressionniste alors. "

Hommage à Ferré

 

    Mais dans ce parcours original se niche un ovni. En 2003, sort soudainement un disque hommage à Léo Ferré Hurle Tout, une surprenante production qui arrive là sans prévenir. Cet objet a pourtant été un virage, une nécessité à la vie de Bell Oeil, une façon d’exorciser et de recentrer à la fois. Christophe explique : "Cabossé était très noir, dur…je m’obligeais à revenir sur la même histoire, à répéter. La bosse, la mer, l’amour, la mort, tout le temps, chaque soir en concert, c’est ce que je racontais. Autant sur le moment je pouvais coucher tout ça sur le papier et c’était bien, autant après c’était aliénant. J’étais prisonnier de ce personnage, de ce moi-même lourd à porter. Il fallait que je passe à autre chose très vite. Mais on n’a pas pu retenir Raphaël le clarinettiste, il en avait marre, il était à bout à cause de Cabossé, il est parti. On a donc commencé à bosser Léo Ferré. Fallait qu’on respire. Les gens que j’aime sont toujours ceux qui saignent sans en faire de trop, sans le pathos. Et Léo Ferré pour moi c’est ça, il y a quelque chose de très lumineux et de très fort mais sans la plainte ". 

Mais ce n’est pas tout. Léo est bien plus encore, et si les comparaisons sont allées bon train dès le début concernant la voix de Christophe Bell Oeil et de Mano Solo, la réalité n’est pas tout à fait là. Ferré est la base. Les vibratos et les phrasés sont habités de ce père spirituel là, père qu’il a fallu tuer. "Il  fallait que je vois tout ce qui ne m’appartenait pas et que j’avais emprunté inconsciemment à quelqu’un d’autre. A Léo. Il fallait donc l’attaquer de front. La seule manière était de chanter carrément ses chansons. Maintenant j’en suis débarrassé. Un corps est le premier disque où c’est vraiment ma voix. Il y a beaucoup moins d’effets. "

Gautier le ressuscité

 

 Parce qu’il y a donc ce dernier né, ce disque encore particulier puisqu’il s’agit là d’un album concept. Un corps est en réalité l’adaptation d’un roman écrit par Christophe Bell Oeil, Gautier le ressuscité. Ce personnage central est un peintre à l’enfance cassée, se sent laid, seul, est amoureux de Marie-hélène… "Dans mon idée, je voulais faire ce disque à l’époque de Cabossé J’avais déjà 8 ou 10 chansons, et surtout le roman était fait. Cela faisait en réalité 7 ans que je portais ça et j’étais dans la projection continuelle. J’avais tout dans ma tête, l’ordre des morceaux, tout. Ça m’a rendu un peu dingue. Il y a un an, j’ai un peu décompensé comme on dit, j’étais perdu. Et le groupe m’a sauvé. Les musiciens m’ont dit : tu ramènes tes chansons, tu arrêtes de parler, on va les faire ensemble. En fait je n’arrive jamais à faire les choses tout seul, je ne les finis jamais. J’ai besoin du groupe. " 

La différence aujourd’hui est à la fin de l’histoire de Gautier. Cette fois, même si toutes les douleurs évoquées sont encore là, elles ont un enrichissement, finissent dans une vision plus mature, digérée. Gautier se ressuscite, comprend, ressort ajouté de quelque chose. Un aboutissement. Cela fait sourire Christophe. "Se ressortir grandi, un peu plus droit et soi-même des passages plus difficiles c’est ce qui importe. C’est ce que j’essayais de dire depuis longtemps, et que j’ai enfin réussi je crois. J’ai quitté le côté spontané pour réfléchir un peu. On ne peut pas passer notre temps à se casser la voix, à se péter les genoux, à perdre des kilos, à s’abîmer sans que personne ne le voie. Au moins que ça serve à quelque chose. "

Dix années donc, une trilogie, un hommage crié, une quête de terminée. Beaucoup plus serein, avec une image de soi moins sombre et étrange, plus ancré dans la réalité, Christophe Bell Oeil a cessé de projeter, de conceptualiser à très long terme. "J’ai envie de vivre les choses. Je crois que maintenant je suis capable en me levant le matin de vivre sans l’angoisse. Sans la peur. Je suis devenu comme tout le monde, voilà. C’est terminé, je ne suis plus hémophile. J’ai cicatrisé même si j’ai encore les marques." Du premier "cri " au dernier "corps" il y a l’histoire de quelqu’un qui grandit.

Bell Oeil Un corps (Musique Cameleon/Sterne/Sony-BMG) 2005
En concert le 25 mars à Paris à la Boule Noire