Pierre Akendengué
Poète esthète et chanteur militant, Pierre Akendengue appartient à cette génération pionnière d’artistes issus de l’Afrique francophone. À travers Ekunda-Sah !, son nouvel album, il continue à puiser dans la culture du Gabon où il a choisi de revenir vivre il y a vingt ans.
Ekunda-Sah !
Poète esthète et chanteur militant, Pierre Akendengue appartient à cette génération pionnière d’artistes issus de l’Afrique francophone. À travers Ekunda-Sah !, son nouvel album, il continue à puiser dans la culture du Gabon où il a choisi de revenir vivre il y a vingt ans.
Aéroport Roissy Charles-de-Gaulle, le 11 mars 2005. La scène se déroule dans un taxi parisien, entre un chauffeur camerounais et son passager, artiste gabonais. "Mais vous êtes Pierre Akendengue !" s’exclame le conducteur en dévisageant son client. "Vous ne pouvez pas savoir comme je suis heureux : quand j’étais étudiant, je vivais avec votre musique. Je n’avais jamais pensé vous rencontrer un jour et de surcroît vous transporter dans mon taxi. Lorsque vous êtes rentré au Gabon, nous avions tous peur pour vous, parce qu’on se disait que le régime ne vous aimait pas. On perdait aussi quelqu’un qui avait une sensibilité en faveur des masses défavorisées. Et quand on a appris que vous aviez été nommé conseiller, on a tous été déçu : on s’est dit que vous aviez retourné votre veste". À peine arrivé sur le sol français pour promouvoir son nouvel album Ekunda-Sah !, Pierre Akendengue mesure aussitôt à quel point ses décisions, à la fois personnelles et professionnelles, prises il y a deux décennies ont suscité auprès de son public un sentiment d’incompréhension que les années n’ont pas complètement effacé.
Venu à Paris pour y faire soigner ses yeux malades au milieu des années 60, passé par le célèbre Petit Conservatoire de Mireille, il est l’un des premiers artistes d’Afrique francophone à s’être fait connaître en France. Aidé par Pierre Barrouh, qui a lancé les carrières de Jacques Higelin et Brigitte Fontaine entre autres, il sort son premier album Nandipo en 1974, obtient le Prix de la jeune chansons française au Midem deux ans plus tard avec Africa Obota. C’est surtout auprès des Africains francophones résidant en France qu’il devient populaire, pétri par les idéaux de l’époque dont il se fait le porte-parole et convaincu que "l’artiste doit être un ferment de contestation dans la société, sans lequel la société risque de se scléroser. Quand j’étais en France, explique le chanteur, j’ai participé un tant soit peu à faire savoir qu’il y existe une autre Afrique que celle de la gabegie, de la corruption, du pillage économique, des calamités, des guerres fratricides. Par le biais de l’art – puisque l’art consiste aussi à essayer de créer le beau et à traduire une sorte de rêve de beauté, de justice et d’égalité, en espérant qu’il se traduira dans les actes – en essayant de donner une image privilégiée des souffrances et des bonheurs des êtres humains, et en particulier des Africains, j’ai contribué à une certaine réhabilitation d’une vision positive de l’Afrique."
Fin de l'exil
En 1984, lors d’une émission à laquelle il participe, un journaliste l’apostrophe : "Tu chantes l’Afrique, c’est bien. Mais quelle Afrique chantes-tu puisque tu vis en Europe depuis vingt ans et que l’Afrique évolue tous les jours ?". Akendengue réalise tout à coup qu’il est en décalage avec les états d’âme de ses concitoyens. "Comme l’exil n’a jamais été un choix délibéré, il a fallu cette question, qui a été un catalyseur, pour sauter le pas et repartir dans mon pays", raconte-t-il tout en se souvenant également que nombreux sont ceux qui se sont demandés ce qu’il allait y faire. Alors que ces chansons étaient censurées au Gabon, il est nommé conseiller culturel auprès du gouvernement peu de temps après son retour. Le chanteur cornélien, qui fait passer son devoir d’artiste au dessus de tout, aurait-il renié ses convictions ? "Le fait d’être conseiller me permet d’aller au coeur de ce qui m’est le plus cher, c'est-à-dire de m’imprégner davantage des racines mêmes de la culture dont je m’inspire dans les quelques chansons que j’ai pu faire", répond-il à ceux qui continuent de penser qu’il serait plus utile à son pays en vivant en France. Lambarena, en 1993, en est selon lui la preuve. Ce travail de rapprochement entre la musique de Jean-Sébastien Bach et les musiques traditionnelles du Gabon, il estime qu’il n’aurait pas pu le faire s’il n’avait été sur place.
Revenu au milieu des siens – " et non pas au dessus", sa responsabilité en tant qu’artiste par rapport au corps social lui paraît plus grande encore que lorsqu’il était en France. Certes, sa carrière a subi un réel coup de frein, car dans son pays il ne dispose plus des mêmes facilités ni des mêmes moyens pour enregistrer. S’il lui a fallu chaque fois plus de quatre ans pour achever ses deux derniers disques, c’est tout simplement parce que les conditions de financement n’étaient pas réunies. Pierre Akendengue n’est pas homme à se lancer dans un projet qu’il ne pourrait mener là où il le souhaite. Un perfectionniste, qui choisit avec soin ses mots et ses images, sans perdre de vue le sens qu’il veut donner à sa démarche. Ekunda-Sah ! en est le nouveau reflet.
Son quatorzième album s’articule autour de trois pôles : une dimension culturelle qui a inspiré notamment la chanson-titre et fait référence à une danse, une dimension sociale qu’exprime La pauvreté, et enfin la quête de spiritualité car "les Africains sont des êtres croyants, au sens large du terme". Tout en puisant dans la musique traditionnelle gabonaise mais en restant au contact de la musique occidentale, il cherche à réécrire la tradition selon sa propre sensibilité, autant désireux d’être apprécié sur la scène internationale que d’avoir une existence "sur la place du village", chez lui. Et s’il continue ses activités de conseiller aux affaires culturelles auprès d’un régime politique souvent critiqué, il assure se sentir en phase ave ses principes : "L’art doit être d’abord un instrument de libération. Et l’artiste ne doit pas parler pour ne rien dire, ou mentir au sujet des choses qu’il sait. Les quelques chansons que j’ai faites et qui ont été connues de certains mélomanes, je crois qu’elles n’ont jamais dérogées à cette ligne de conduite. Parce que l’artiste se fait, dans le silence de son coeur, une promesse de fidélité à lui-même."
Pierre Akendengue Ekunda-Sah (Taxi Records/Codaex) 2005
En concert le 4 avril au Bataclan à Paris avec RFI