Christian Escoudé

Le guitariste manouche Christian Escoudé revient après six ans d’absence discographique avec Ma ya. Ya, un album abouti, qui allie la maturité du compositeur et l’habileté du jazzman aventureux.

De retour aux sources

Le guitariste manouche Christian Escoudé revient après six ans d’absence discographique avec Ma ya. Ya, un album abouti, qui allie la maturité du compositeur et l’habileté du jazzman aventureux.

     

Christian Escoudé est né en 1947 d’un père tzigane et d’une mère charentaise. Son père guitariste, en véritable fan de Django Reinhardt, lui enseigne ses premiers accords à 10 ans et lui transmet sa passion pour le jazz manouche.

À 15 ans, Christian embrasse comme son père la carrière de musicien et part jouer le week-end dans les bals de province. Le répertoire des orchestres régionaux est avant tout à la mode yéyé, sixties obligent. À la maison, la radio est branchée sur les émissions de jazz et le jeune guitariste copie de manière empirique les morceaux de Charlie Parker, Eroll Gardner, Coleman Hawkins et, bien sûr, Django Reinhardt. Christian Escoudé marche dans les sillons du grand Django, mais il choisit pourtant très tôt de prendre la tangente. «L’armée américaine était encore en France à cette époque-là. Il y avait une de leur base à côté de chez moi, à Angoulême. J’y jouais avec un orchestre tous les standards de la musique américaine, de Misty à All the things you are... » Une base qu’il utilise pour se forger un autre répertoire. "Le soir, je rejoignais mes copains étudiants pour qu’ils m’apprennent des trucs nouveaux. C’est ce qui m’a donné cette tendance à tirer les choses vers le haut, à partir sur le chemin de la modernité."

Christian Escoudé fait partie de ces artistes qui ont surfé sur la première vague du changement dans les années 60. 20 ans en 1967... arrive 1968, l’émancipation et pas seulement celle de la majorité ! À l’instar de l’avènement du rock’n’roll et de la guitare électrique, Christian Escoudé envisage très tôt le jazz comme un art évolutif, et survole la période swing pour se consacrer au jazz moderne. "Dans les années 60 le jazz se créait. Coltrane, Miles Davis, Monk, Parker, c’était nouveau, ça me parlait." Le guitariste s’affranchit alors un temps de l’influence de Django. " Je me suis mis à le considérer bêtement comme un artiste dépassé, un musicien de jazz de la génération précédente et puis, si je me suis dégagé de sa musique, c’est aussi par une espèce d’opposition à mon père."

L’ombre du plus grand jazzman manouche n’a pourtant jamais cessé de planer sur la carrière de Christian Escoudé, qui le reconnaît volontiers. " Django est intemporel, comme Bach ou Ravel. C’était un précurseur, un génie." Finalement c’est toujours par rapport à lui qu’il s’est situé, par ressemblance ou par opposition. "Cette faculté d’improviser : c’est mon héritage de Django, comme Charlie Parker. Disons que j’ai toujours cultivé un peu ça, cette tradition des musiciens de jazz qui se forcent à éviter les clichés au moment de jouer."

Liberté amplifiée

 

 Avec l’avènement de la musique amplifiée, Escoudé opte définitivement pour la guitare électrique et trouve en Wes Montgomery un modèle d’innovation. Le jeu d’Escoudé restera empreint d’inflexions gitanes, de vibrato et de portamento et se distinguera par son utilisation maîtrisée des arpèges en ton/demi ton. Un penchant pour la surprise qui correspond à celui qu’il voue pour la modernité. Premier concert au Jazz In en 1972, multiples collaborations avec Michel Portal, Slide Hampton et Martial Solal - pour ne citer qu’eux -, Christian Escoudé décroche finalement en 1976 le prix Django Reinhardt, décerné par l’Académie du jazz. En 1979, il enregistre avec le quartet de John Lewis et joue déjà sur les planches du Festival de Nice aux côtés des plus grands, dont Stan Getz et Bill Evans. En 1980, il part en tournée mondiale avec John McLaughlin, entre dans l’orchestre de Solal en 1981 et crée son premier quartet la même année. En 1983, il joue en duo avec Didier Lockwood et forme en 1985 Le Trio Gitan, avec Boulou Ferré et Babik Reinhardt, le fils de qui vous savez.

Collaborations et formations ne cesseront de se multiplier jusqu’à ce que la curiosité qui le caractérise ne le renvoie à la nécessité de composer. "J’ai commencé à composer dans les années 80. C’est l’époque qui m’a poussé. Le free jazz était en expansion et c’était même assez mal vu et démodé de ne pas être compositeur et de n’interpréter que des standards." Son premier album de composition, A Suite for Gypsie - une œuvre de jazz rock, fusion, sorti en 1998 – sera son dernier album chez Universal après onze ans de collaboration et un nombre presque équivalent de disques. Il consacre les six années suivantes à la scène et à la composition, créé un big band de 17 musiciens en 2003 avec lequel il explore l’héritage musical de Django et constitue, en 2004, le Nouveau Trio Gitan, un trait d’union entre ses racines gitanes et le jazz moderne.

Retour au jazz tonal

La même année, le guitariste manouche signe sur le label Nocturne et sort en mars 2005 Progressive sextet Ma ya. Ya. "On m’a laissé enregistrer ce que je voulais avec qui je voulais." Une aubaine appréciée compte tenu de son passé dans une major... " J’ai rencontré ces jeunes virtuoses et fait appel à l’accordéoniste et ami Marcel Azzola. Il est le précurseur de l’accordéon de qualité, celui qui a sorti l’instrument de sa musique populacière." Ma ya. Ya est un album de composition abouti de huit titres inédits, plus une reprise d’Insensiblement et deux morceaux d’Azzola. Une oeuvre à l’image de la maturité du guitariste : " Je me suis cherché pendant de longues années. Je constate aujourd’hui que le fait de jouer ce jazz, qui se voulait être évolutif et progressif, m’a amenée à m’éparpiller ou plutôt à taper dans tous les coins. Finalement ce qui me convient et ce dans quoi je m’exprime le mieux, je crois, c’est dans ce jazz moderne qui reste tonal, pas atonal comme ce que j’ai pu faire à mon époque free jazz. "

L’album n’en est que plus mélodique et savoureux. " Le plaisir n’a jamais été aussi intense que lorsque je joue une musique structurée. Aujourd’hui, je me définirais comme un musicien néo-classique. Ma ya. Ya condense le juste équilibre entre le fruit de ses explorations et la sagesse d’un des plus grands guitaristes manouche de notre époque.

 Christian Escoudé Ma ya. Ya (Nocturne) 2005