Henri Dikongué
Biso Nawa est le quatrième opus de Henri Dikongué, révélé il y a dix ans sur la scène parisienne. Nostalgie et sensualité, amour et politique, ainsi qu’une plus grande ouverture au monde. Le troubadour camerounais plus que jamais, se sent libre dans ses choix.
Biso Nawa
Biso Nawa est le quatrième opus de Henri Dikongué, révélé il y a dix ans sur la scène parisienne. Nostalgie et sensualité, amour et politique, ainsi qu’une plus grande ouverture au monde. Le troubadour camerounais plus que jamais, se sent libre dans ses choix.
Bâtir une carrière en musique n’est pas qu’une affaire de défis imparables au départ, de la part d’un artiste "feu follet", dont le seul capital se trouve être dans sa capacité à faire s’évader les foules. C’est aussi une histoire de conviction de la part de ceux qui misent sur son talent. Un propos que l'on illustrerait volontiers par le discret parcours du Camerounais Henri Dikongué, troubadour apparu sur la scène world parisienne, il y a un peu plus de dix ans. Sil n'y avait eu que les ventes, honorables au demeurant, et le regard, quelque peu biaisé, des chroniqueurs journalistes, Dikongué aurait sans doute disparu des bacs, suite à son dernier opus, enregistré dans une perspective d'expérimentation musicale qu'on ne lui a guère pardonné.
Heureusement pour lui, il y a l'estime sans cesse renouvelée d’un public de qualité, mélomane et exigeant à la fois, et la confiance sans faille d’un homme, Gilles Fruchaux, son producteur, patron du label parisien Buda Musique, qui, confiant, accepte de le suivre dans ses audaces musicales. Cela avait commencé avec l’album Wa, un bijou serti de promesses au début des années 90. Cela continue joliment avec Biso nawa, qui signifie "toi et moi", un album qui exalte le bonheur de jouer des petites ballades au grand coeur. Peut-être va-t-on se souvenir qu’il y a cinq années environ, quelques critiques de la sono africaine en France s’empressaient de décréter une mise en quarantaine (ou presque) de cet artiste, à cause d’un petit pari musical. Dikongué avait choisi, avec son compère bassiste, Etienne Mbappé aux arrangements, de produire un album à caractère "symphonique". Métisser la world et le classique à travers un répertoire de folksinger tout désigné : un véritable débat de forme, qu’il a su négocier, tout comme sa volonté actuelle de revenir aux ambiances aériennes de ses débuts !
Libre dans ses choix
Au-delà de la liberté d’un artiste, refusant d’être singé dans ses habitudes, au-delà du refus des compromis et des sonorités à la mode, il y avait comme une envie chez lui de surprendre le microcosme, une envie de ruser avec une certaine monotonie acoustique de l’Afrique parisienne à l’époque. C’étaient les années Lokua. Le son était plus dépouillé. Et la volonté de marier des cordes à cette musique, mise d’office sous un "pli africain", avec tous les sous-entendus que suppose cette labellisation, pouvait paraître pompeux. Dans la world, il y a ceux qui savent ce que doit être un artiste africain. Et il y a ceux qui créent. Dikongué fait partie des seconds, n’est pas gêné par l’idée de déplaire aux premiers, y compris même lorsqu’il se trompe. "En fait, dit-il, j’ai l’habitude de cette frilosité. L’Africain n’a droit qu’à une case. Certains de ces critiques trouvaient mon premier album touffu, avant de me dire que j’avais eu raison dans ma démarche. Et aujourd’hui, je continue à faire ce que j’aime, même s’ils n’intègrent pas ma vision de la musique. je continue à être libre dans mes choix". Frondeur dans l’âme, il promet ainsi de revenir bientôt avec un second projet du même type, encore plus ambitieux sur le plan symphonique.
En attendant, il nous offre un quatrième album, qui renoue avec la fraîcheur des années Wa. Le son semble certes un peu inégal par moments mais reste plus mature dans l’ensemble. Le vécu d’un artiste, qui a toujours chevauché en toute liberté dans une pop élaborée et sans compromis, se ressent tout le long de l’album. Le ton est plus confiant, nous ramène aux atmosphères des débuts, tout en exprimant plus de doigté dans le jeu des guitares, dans des arrangements assurés par l’artiste lui-même ("J’ai appris à nager et je nage. J’ai appris à faire ce métier, à arranger mes musiques, je ne vois pas pourquoi je me le refuserais. Cette fois-ci je m’investis totalement"). Dikongué reprend sérieusement sa carrière en main. Sa voix est toujours aussi claire, sensuelle et agile, sans être complètement fragilisée par les années de doute.
Fin mélodiste
Sa guitare, légère, aérienne comme toujours, se dandine d’une manière faussement minimaliste et picore comme jamais dans les imaginaires du monde entier. Du classique, du flamenco ou encore de la bossa, les clins d’oeil sont subtils, sans virer à l’hommage appuyé. De la même manière, l’album nous rappelle au souvenir, sans mimétisme aucun, de quelques illustres aïeux africains. On pense facilement à Francis Bebey, à Eboa Lotin ou à Pierre Akendengue. "Tout ce que j’ai écouté jusqu’alors, enrichit ma musique. C’est normal", nous confie généreusement Dikongué, ce fin mélodiste (on ne le dit pas assez) qui pense (toujours) la musique comme un voyage d’affranchi dans les patrimoines communs.
Esprit droit et regard bien aiguisé, en bon juriste qu’il n’a jamais cessé d’être, il ne fait pas qu’interpréter du "I", du "Love" et du "You" avec nostalgie. "J’exprime ce que je pense. Je parle des injustices, parce que je suis issu d’un monde opprimé. C’est pour ça que j’ai fait du droit". Il parle donc de l’indifférence que subissent les nés sous X ; dénonce la course aux bénéfices, rêve d’un monde plus respirable et moins pollué ; haro sur les "tyrans esclavagistes", sur les passions religieuses qui pourrissent notre quotidien. Un disque-paravent contre ce qu’il appelle "les hypocrisies globales" ! Le tout sans effets de manche, et dans la perspective d’un nouveau départ : "Je rajeunis" dit-il en bon songwriter qui s’assume !
Henri Dikongué Biso Nawa (Buda Musique) 2005